« O Lou, dans un poème qui me réussit, il y a beaucoup plus de réalité que dans toute relation ou inclination que je vis… c’est là qu’est ma maison, là les figures qui me sont vraiment proches, les femmes dont j’ai besoin, les enfants qui grandiront et vivront longtemps. »
Lettre à Lou Andreas-Salomé, 8 juin 1914.
« Purs sont tous les sentiments sur lesquels vous concentrez votre être entier et qui vous élèvent ; impur est un sentiment qui ne répond qu’à une partie de vous-même et par conséquent vous déforme. »
Lettres à un jeune poète, X.
Aimer à distance et dans l’errance le plus possible. Habiter le vide ainsi créé par de belles lettres à de nombreux correspondants, dont, si possible, un jeune poète. Profiter du temps libre pour se promener, observer, noter, déprimer, créer de nouvelles relations. Ne pas oublier de rompre de temps en temps (ça redémarre d’autant mieux après) et d’errer. Écrire beaucoup, sans toujours compter sur l’inspiration. Ne pas prendre froid dehors.
Rilke reste peu de jours ou de semaines au même endroit. À partir de sa vingt-deuxième année, curiosité, amours, invitations, conférences, fuites, recherches le font circuler dans plusieurs dizaines (sinon centaines) de lieux en Europe et en Afrique du Nord.
Lorsqu’on le sait ici, on sait qu’il n’y sera bientôt plus.
– René Maria Rilke naît à Prague en 1875, fils unique d’un couple dont la longue désunion ne sera prononcée qu’en 1885.
Sa mère l’éduque comme si René remplaçait sa fille mort-née. Son père remâche en permanence son désespoir de ne pas être officier.
– Le futur poète passe par des écoles militaires et des études de droit, avant de débuter en 1895 à Prague des études de philosophie et de littérature. Il commence à collaborer à des revues.
– En mai 1897, René rencontre Lou Andreas-Salomé et devient Rainer. Ses poèmes et pièces de théâtre commencent à connaître un petit succès.
Pour Lou, il commence son Journal l’année suivante. Ils voyagent en Russie en 1899 puis en 1900 (rencontrant en particulier Tolstoï à Iasnaïa Poliana et Leonid Pasternak, père peintre de Boris).
– En 1901, Rainer rompt avec Lou (qu’il reverra et avec qui il entretiendra encore une longue correspondance) et épouse Clara Westhoff, une ancienne élève de Rodin.
– En août 1902, le voilà à Paris pour travailler, sur le conseil de sa femme (dont il s’éloigne), à une monographie sur Rodin. Il loge d’abord 11 rue Toullier, près du Panthéon, puis, à partir d’octobre, non loin, sous le toit du 3 rue de l’Abbé-de-l’Epée, avant de reprendre de nombreux voyages à travers l’Europe.
À Paris, Rilke dit qu’il « apprend à voir » et se découvre un intérieur qu’il ignorait. Les fumées des poêles de ses différents logements et sa curiosité le font vivre davantage dehors (les rues, les musées, les parcs, la Bibliothèque Nationale) que dedans. Quand il a quelques sous, il entre dans un café.
Entre 1902 et 1914, il se forme au français, qu’il finira par maîtriser presque parfaitement, traduisant en allemand de nombreux auteurs.
Rodin le prend comme secrétaire et l’accueille chez lui, Villa des Brillants à Meudon, entre septembre 1905 et mai 1906. De Rodin, il apprend que l’art est d’abord un acharnement au travail.
Mi-mai, Rilke s’installe 29 rue Cassette, toujours dans le quartier du Luxembourg, puis voyage à nouveau.
– Entre 1908 et 1911, il vit dans l’Hôtel de Biron, 77 rue de Varenne, où il invite Rodin à le rejoindre. Sa vie parisienne est toujours entrecoupée de voyages, dont plusieurs en Afrique du Nord fin 1910-début 1991.
Entre 1904 et 1910, il écrit les Cahiers de Malte Laurids Brigge.
– Au château de Duino en Dalmatie, chez la princesse Marie de La Tour et Taxis, il commence les Élégies en 1911.
– En 1913, il habite à Paris 17 rue Campagne-Première un atelier haut perché où il reçoit la visite de Stefan Zweig.
Il rencontre Gide (qu’il traduira en allemand), Rolland, Verhaeren, la comtesse de Noailles… La guerre l’empêchera ensuite de revenir en France. Entre 1914 et 1918, il vit principalement à Munich ou Berlin.
– À partir de 1919, il opte définitivement pour la Suisse. Soglio, Rad Ragaz (au Grand Hôtel), Winterthour, Berg-am-Irchel près de Zurich,… Le château de Duino a été détruit par des bombardements pendant la guerre. Rilke s’installe l’été 1921 dans un autre château : Muzot. En février 1922, en trois semaines d’une fièvre créatrice incroyable, il achève ce qu’il essayait d’achever depuis onze ans : les Élégies, et il conçoit les Sonnées à Orphée.
Muzot est son port d’attache jusqu’à sa mort. C’est là que Paul Valéry (qu’il traduit aussi en allemand) lui rend visite en avril 1924.
– Entre janvier et août 1925, il revient à Paris, à l’hôtel Foyot, pour tenter de sortir d’un état dépressif.
– Il décède d’une leucémie le 29 décembre 1926 à la clinique de Val-Mont, au-dessus du lac Léman, juste après avoir eu le temps d’entretenir une ultime correspondance avec Marina Tsvetaïeva et Boris Pasternak.
Aux alentours
Les voisins écrivains de Rilke à Paris (quartiers du Panthéon et Luxembourg) sont innombrables, bien sûr. Citons cependant :
– Aragon, Rimbaud, Paulhan, Maïakovski, rue Campagne Première,
– Jarry, rue Cassette,
– Hemingway, Joyce et Valéry Larbaud, rue du Cardinal-Lemoine,
– Verlaine, rue Descartes,
– Breton, place du Panthéon,
– Gertrude Stein, rue de Fleurus,
– Hugo, rue Notre-Dame-des-Champs.
Pour visiter le lieu
Des demeures parisiennes du poète, seul l’Hôtel Biron, devenu musée Rodin, est ouvert au public.
Petite bibliographie
Rilke. Sans domicile fixe. Olympia Alberti. Editions Christian Pirot, 1999, 176 p., 110 F.
Dossier Rilke du Magazine Littéraire n°308, mars 1993, 30 F.
Rilke à Paris. Maurice Betz, Editions Obsidiane, 1990.