Depuis Walter Scott dans les années 1810, les meilleurs auteurs de romans historiques possèdent un pouvoir magique : celui de faire coller parfaitement leurs intrigues aux méandres connus de l’Histoire. Et on ne peut que les suivre lorsqu’ils concluent le récit de leurs aventures extravagantes en expliquant que celles-ci n’ont pas retenu l’attention des chroniqueurs et historiens officiels tant elles étaient incroyables ou tant, si elles étaient connues, elles pourraient nuire à la paix du royaume – ne citons qu’un exemple – mais ils fourmillent dans les Pardaillans – l’empoisonnement de Louis XIII en 1643, imaginé par Jean d’Aillon dans La Conjuration des Importants.
Les guerres de religion et la Saint-Barthélémy sont un cadre de choix pour ces auteurs. Si nous remontons aux romantiques, citons Dumas et sa Reine Margot (la légère Marguerite de Valois, fille de Catherine de Médicis, épouse le futur Henri IV le 18 août 1572 ; sa mère pense ainsi rétablir la paix entre catholiques et protestants ; le 24 août, c’est la Saint-Barthélémy), ou Mérimée et sa Chronique du règne de Charles IX. Dans Les Illusions perdues, Balzac fait espérer à Rubempré être l’auteur d’un Archer de Charles IX.
Retrouvons à Paris trois héros des années 1550-1570 : le chevalier Jean de Pardaillan, Nostradamus et le baron de Vitteaux (accompagné de son fidèle Zampini), dont les pères respectifs nous sont plus contemporains : Michel Zévaco, Valerio Evangelisti (Le Roman de Nostradamus, tome 3 : Le Précipice) et Jean-Baptiste Evette (Les Spadassins). Ces deux derniers, comme pour rendre hommage au premier, situent leur action à l’époque de Pardaillan et de Catherine de Médicis. Ils lui impriment le rythme endiablé du feuilleton de Zévaco, où l’on a guère le temps de s’attarder sur les personnages et les événements, car d’autres attendent derrière, et où l’on est à peine remis d’une surprise qu’une autre la fait oublier aussitôt.
Un privilège reste celui de Zévaco : l’humour incomparable des dialogues.
Plantons le décor.
Les guerres de religion débutent en 1562 et s’achèvent en 1598. Au milieu d’elles s’élève l’humanisme d’un Montaigne, dont la première édition des Essais est publiée en 1580 (Rabelais, Marot, Dolet, Montaigne sont aussi pour la tolérance, sinon pour la Réforme ; Ronsard et Monluc attaquent au contraire les calvinistes dans leurs écrits). Les différents traités de paix civile semblent de peu de poids : l’édit d’Amboise (1563) et la paix de Saint-Germain (1570) n’empêchent pas que se reproduisent affrontements et persécutions. Le massacre de la Saint-Barthélémy a lieu en 1572.
Henri II, fils de François Ier, est roi jusqu’en 1559. Catherine de Médicis, sa veuve, assure la régence jusqu’en 1564. Son fils François II meurt prématurément. Son autre fils, Charles IX, est roi jusqu’en 1574 et Henri III lui succèdera.
Alors que Catherine de Médicis et Charles IX sont partisans de la tolérance, le duc François de Guise, le connétable (chef honorifique des armées) Anne de Montmorency, le maréchal de Saint-André et la « ligue » catholique les tiennent sous leur coupe, déterminés qu’ils sont à vaincre les « hérétiques ».
Les aventures de Pardaillan s’étendent de 1553 aux années 1570, celles de Vitteaux et Zampini aux années 1560. Le tome 3 des aventures de Nostradamus se déroule entre 1555 et 1566.
Parcourons les rues de Paris au fil des oeuvres de ces trois auteurs.
1) Dans Les Pardaillan, Catherine de Médicis se fait construire un palais près de l’actuelle bourse de Commerce, ainsi qu’une tour pour son astrologue Ruggieri, qui existe encore aujourd’hui.
2) Jean de Pardaillan demeure dans une modeste chambre située tout en haut de l’hôtellerie de La Devinière, rue Saint-Denis. Quarante ans plus tôt, Rabelais a ainsi baptisé le lieu, devenu, à l’époque de Pardaillan, une auberge appréciée par les poètes de La Pléiade : Ronsard, Baïf, Belleau, Dorat, Jodelle et Pontus de Thyard. On assiste d’ailleurs, dans le roman, à une mystérieuse rencontre qui les réunit tous à l’auberge (le septième, du Bellay, est mort en 1560), et à un un complot auxquels participent Henri de Guise et Henri de Montmorency, qui jugent Charles IX trop faible face aux protestants. En face de La Devinière se sont installées la belle Jeanne de Piennes – après son renoncement à son mariage – et sa fille Loïse, dont le père est François de Montmorency, le « bon » fils du connétable. Loïse tombe amoureuse de Pardaillan, dont le père avait jadis été chargé de l’égorger.
3) La charmante Giula, compagne de l’astrologue Simeoni, est enfermée au grand Châtelet (aujourd’hui place du Châtelet) suite à une arrestation de protestants. Le père jésuite Michaelis va l’utiliser, ainsi que Simeoni, dans ses sombres desseins contre Nostradamus et les « huguenots ».
4) Place de l’Hôtel de Ville est exécuté le protestant Poltrot de Méré, qui a avoué avoir tué François de Guise à Orléans en février 1563 (Le Roman de Nostradamus), très certainement à la demande de l’amiral de Coligny.
5) Un jour, voyant Jeanne de Piennes (surnommée « la Dame en noir ») sortir de son logis, Pardaillan la suit le long de la rue Saint-Antoine (partie actuelle de la rue de Rivoli), voulant lui demander la main de sa fille. Il la voit entrer dans une maison de la rue des Barres, où elle va secrètement remettre une tapisserie de sa composition au roi Charles IX. Continuant de la suivre après sa sortie de la maison, Pardaillan se trouve embarqué dans une manifestation de catholiques venus acclamer le duc Henri de Guise (qui, lui, sera assassiné en 1588) et qui s’attaquent à la reine de Navarre, Jeanne d’Albret (mère du futur Henri IV qui, protestant, se convertira au catholicisme pour mettre fin aux guerres de religion), croisée en chemin. Pardaillan la sort de ce mauvais pas et l’accompagne ensuite chez un orfèvre en face de la prison du Temple, située alors à l’emplacement actuel du square du Temple.
6) Un soir, s’engageant dans la rue de la Tixeranderie – qu’a remplacée la rue de Rivoli au-dessus de la place de l’Hôtel de Ville (la rue de la Tixeranderie rejoignait à l’est la rue Saint-Antoine, à hauteur de la place Baudoyer) – depuis la rue des Francs-Bourgeois, il entend des cris poussés par deux gentilshommes assaillis par des brigands dans la rue Saint-Antoine (rue de Rivoli). Ils vient à leur aide et reçoit aussitôt un cheval en remerciement. L’un de ces deux gentilshommes est Henri de Montmorency, maréchal de Damville. La demeure parisienne d’Henri de Montmorency est l’hôtel de Mesmes, qui s’élevait sur l’emplacement actuel du passage Saint-Avoie. Dans Les Spadassins, il y invite un soir Vitteaux et Zampini. Dans Les Pardaillan, il y enferme Jeanne de Piennes qu’il a retrouvée rue Saint-Denis, des années après l’avoir éloignée de son frère François et perdue de vue. Il charge un soir Pardaillan père de convoyer Jeanne de l’hôtel de Mesmes à la maison d’Alice de Lux rue de la Hache.
7) Giulia, relâchée du Châtelet grâce à Michaelis, est ensuite conduite pour être gardée par un médecin rue Saint-Louis-en-l’Île.
8) Pardaillan, pour avoir refusé d’obéir à Catherine de Médicis, effectue un séjour forcé à la Bastille, d’où il ressort grâce à un habile stratagème.
9) Simeoni assiste place Maubert,à une exécution de protestants.
10) Vitteaux et son serviteur se rendent un soir à l’hôtel Séguier, rue Saint-André-des-Arts.
11) Le collège de Billom, situé dans l’hôtel de Langres rue Saint-Jacques presque en face de la Sorbonne, est le quartier général des jésuites. C’est là qu’ils installent ensuite le collège de Clermont.
12) Lorsqu’ils arrivent dans la capitale, le baron de Vitteaux et son serviteur Antonio Zampini (Les Spadassins) s’établissent à l’Hôtel d’Hercule, quai des Augustins, presque en face du Louvre. Dans Les Pardaillan, le connétable des armées du roi, Anne de Montmorency séjourne dans son hôtel, également presque en face du Louvre, non loin du Port-aux-Passeurs (il décède en 1567). C’est ici que, sous l’influence néfaste de son fils Henri de Montmorency, également amoureux de Jeanne de Piennes, il a forcé celle-ci à casser son mariage avec son autre fils François.
13) Le père Michaelis assiste incognito à un immense rassemblement de protestants réunis en mai 1558 sur le Pré-aux-Clercs, qui s’étendait entre la rue du Bac et la rue des Petits-Augustins, et dont la rue du Pré-aux-Clercs garde le souvenir.
14) Au coin des rues de la Hache et Traversine ou Traversière (devenue la rue Molière), près du Louvre, se trouve une maison où se cache Alice de Lux, espionne à la solde de Catherine de Médicis, qui se rend à l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, place du Louvre, pour rencontrer le moine Panigarola, son ancien amant. Dans cette maison de la rue de la Hache vient la trouver son amant du jour, le comte de Marillac, qui complote avec Henri de Béarn, avec le prince de Condé et Coligny pour enlever le roi Charles IX (Les Pardaillan) !
15) L’hôtel de l’amiral de Coligny, un des leaders protestants, se trouve rue de Béthisy. Henri de Béarn, futur Henri IV, y rencontre clandestinement François de Montmorency… et Jean de Pardaillan. Coligny est un fils de Louise de Montmorency, soeur du connétable. Il est donc cousin de François.