R. D. Lettre à Youki, 7 janvier 1945, depuis son camp d’internement.
Cet homme aime une femme pendant cinq ans sans être aimé en retour. Faut vraiment être poète.
Puis il retrouve la première en une autre, qui l’aime vraiment après le départ de son mari.
Il lui arrive aussi de poursuivre Paul Éluard un couteau à la main, dans un jardin de Saint-Brice après une séance d’écriture automatique.
Dans son atelier de la rue Blomet, il dort une épée de cristal suspendue au-dessus de sa tête.
Le 8 juin 1945, il lui arrive enfin de mourir de typhus, à quarante-cinq ans, dans le camp de concentration de Terezin, à cent kilomètres de Prague.
Voilà quelques-uns des hauts faits du poète aux yeux cernés, clairs comme de l’eau, qui, à partir de 1922, introduit le rêve dans le Surréalisme (il note ses rêves depuis l’âge de 16 ans), avant d’en être chassé en 1929 par le maître Breton pour cause d’activités journalistiques (et il fera beaucoup plus grave : de la radio, de la critique musicale et cinéphile, des chansons, etc.).
Il naît le 4 juillet 1900 au 11 rue Saint-Martin à Paris. À ses études au collège, il préfère la lecture de Fantômas. Il est employé à 17 ans dans une droguerie rue Pavée mais la poésie le passionne davantage. Il rencontre Benjamin Péret et Roger Vitrac, puis Breton et des dadaïstes.
En 1920-22, il effectue son service militaire au Maroc. Ses parents lui réservent une chambre de bonne au 6e étage de la maison qu’ils occupent depuis 1913 au 9 rue de Rivoli.
À son retour, il se plonge avec Breton et ses amis dans l’écriture automatique et le sommeil hypnotique. Lorsque, entre 1925 et 1928, Marcel Duhamel, Prévert et Tanguy font du 54 rue du Château le troisième haut lieu du surréalisme après le bar Cyrano et l’appartement de Breton, Desnos (qui démarre en 1925 une amitié de vingt ans avec son quasi-jumeau Prévert) s’invite souvent, de même que Queneau, Péret…
Il s’installe 45 rue Blomet en 1926, à côté de l’atelier de Miro, dans celui que vient de quitter André Masson, au fond d’une cour (atelier qui n’existe plus aujourd’hui). Mais la nuit, on le trouve davantage au Bal nègre (33 rue Blomet) ou au Dôme.
Il s’éloigne peu à peu des surréalistes à partir de 1927, surtout lorsque certains s’engagent dans le communisme.
En 1930, il reconnaît en Youki sa maîtresse imaginaire qui vient de décéder de tuberculose, la chanteuse Yvonne Georges. Youki et son mari le peintre Foujita accueillent souvent Desnos dans leur petit hôtel 3 rue du parc Montsouris, puis dans leur appartement du square Lacretelle. Desnos anime à partir de 1932 une émission radiophonique : La grande complainte de Fantômas. Il devient aussi rédacteur publicitaire.
Lorsque Foujita retourne au Japon, Desnos et Youki emménagent (vers 1934-35) 19 rue Mazarine. Leur appartement est en permanence rempli d’amis. Le milieu des années trente voit le poète se lancer dans la lutte antifasciste. Il s’engage dans l’AEAR (Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires) et le CVIA (Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes). La non-intervention de la France aux côtés des républicains espagnols le choque. Devant la montée du nazisme, il abandonne son pacifisme.
Il collabore jusqu’en 1943 au journal d’Henri Jeanson, Aujourd’hui. Cela devient une couverture qui lui permet de masquer ses activités résistantes à partir de 1942. Il entre en contact avec le mouvement Combat et participe avec Eluard aux Éditions de Minuit. Il ne tait pas vraiment ses opinions antinazies, et est arrêté par la Gestapo le 22 février 1944. Il est emmené rue des Saussaies, transféré à Fresnes, Compiègne puis Auschwitz (30 avril), Buchenwald (mai), Flossenburg, Soha (juin), puis Terezin lorsque Soha est libéré par les alliés en avril 1945.
Autres demeures de l’auteur
Desnos a accompagné les surréalistes dans différentes aventures et différents lieux. Il participe par exemple en 1922 aux expériences d’écriture automatique dans la maison des Éluard à Saint-Brice-sous-Forêt. L’été 1925, il séjourne avec Breton au Grand Hôtel du Château à Thorenc, sur la Côte d’Azur.
Plus tard, Desnos et Youki séjourneront à plusieurs reprises à l’auberge de Vaudrampont dans la forêt de Compiègne, après avoir traversé Senlis et ses environs sur les traces de Nerval.
Pour visiter le lieu
Les demeures de Desnos ne sont pas ouvertes au public. Mais le Paris surréaliste est dans beaucoup d’endroits.
Petite bibliographie
Les confidences de Youki. Youki Desnos. Fayard, 342 p., 120 F.
Desnos pour l’an 2000. Colloque de Cerisy-la-Salle. Gallimard, 538 p., 195 F.
Robert Desnos. Fayard, collections « Cahiers de l’herne », n°54, 426 p., 300 F.
Robert Desnos, le roman d’une vie. Mercure de France. Dominique Desanti, 352 p., 135 F.