Le repas complet coûte trente sous, la spécialité maison est le pot-au-feu.
Par Bernard Vassor
Si l’on parlait du « Petit Rocher », personne ne connaissait l’endroit, mais si l’on prononçait
«Dinocheau », alors, tous les boulevardiers étaient unanimes pour vanter la qualité de cet établissement. Le seul décor était une grande glace occupant tout un mur.
Edouard Dinocheau, fils, reprit la succession de l’auberge maternelle.
« La salle minuscule (elle existe toujours) pouvait contenir environ douze clients. Un petit escalier menant à une salle boisée, chêne vernis et papier rouge velouté. Table en fer à cheval, le dîner est bourgeois et provincial, de la soupe grasse et du bouilli. A la fin du dîner après le café, Dinochau, mine émerillonnée, dans ce monde dînant en manches de chemises, cheveux frisés, venant se mêler de littérature et racontant des charges d’Auvergnat ».
Les soirs d’affluence, on finissait par y entasser plus de quarante personne parmi lesquelles on pouvait reconnaître certains jours :
Baudelaire accompagné de Jeanne Duval, le piéton de Paris Paul Delvau, Poulet-Malassis, Scholl, Monselet, Jules Janin qui habitait rue Bréda, Félix Nadar Tournachon et Henri Mürger, enfant du quartier depuis sa naissance rue Saint-Georges.
Ce brave Dinochau fit faillite en 1871, la plupart de ses «clients» oubliaient parfois de le payer. Pendant le siège de Paris, il s’était entêté à maintenir ses prix bas, le conduisant ainsi à la ruine. C’est Henri de Villemessant qui, flairant une bonne affaire, rachètera le restaurant en 1871.
Portrait fielleux par Edmond de Goncourt : « le père Dinochau, un vieil abruti, la mère Dinochau, qui avait de gros yeux saillants comme des tampons de locomotive et le fils devenu célèbre plus tard : un voyoucrate intelligent ».
Un autre portrait charmant que donne Jules cette fois, au cours d’un dîner chez Dinochau à propos de la maîtresse de Mürger :
« Maîtresse de Mürger, petite créature menue, visage tout pointu, tout bridé, tout retiré. Les cheveux sur le front, petite moustache piquante. Ratatinée, venimeuse, pie-grièche frottée de mots, disant que Buloz demande de ses nouvelles ».