Cette version est contredite par les historiens et chroniqueurs de cette période. Le bulletin de la société historique de la Ville de Paris indique que les meubles et objets furent transportés aux Tuileries et disparurent dans l’incendie allumé par la Commune le 26 mai… Un petit livre paru récemment reprend presque mot à mot sans la citer cette version.
L’historien académicien, le duc de Castres, annonce que l’hôtel fut brûlé à la fin de la Commune. Le pourtant très brillant historien Stéphane Rials règle cette histoire en deux lignes.
Il reste encore un travail énorme de recherches, et des sources sont encore inexploitées, tant aux archives du S.H.A.T qu’aux Archives nationales ou de Paris.
(suite)
Par Bernard Vassor
La collection de tableaux, les meubles, les porcelaines, les livres, ont été envoyés au garde-meuble, avenue Rapp, les objets d’art au musée du Louvre. L’argenterie sera transportée à la Monnaie et servira, cruelle ironie, une fois fondue à la fabrication de la fameuse pièce de 5 francs argent destinée à la solde des Gardes nationaux le 20 mai.
Un homme surveille attentivement les opérations, c’est lui qui sera chargé de retrouver quelques objets dérobés. Il est en relation avec le docteur Troncin-Dumersan. C’est encore Barral de Montaud, grand, guindé, très raide, il se distingue dans sa tenue par rapport au débraillé de ses collègues, mais pour donner le change, on l’entend de temps en temps s’emporter contre «les infâmes versaillais ».
Ses relevés de notes, permettront de retrouver certains «ignobles pillards ». Parmi ceux-ci, le capitaine Mourot, (Jean Jules, employé, habitant au 100 boulevard de la Chapelle) qui distribuait chaque jour une demi-bouteille de vin prise dans les caves de l’hôtel. On a trouvé chez lui et chez sa maîtresse au cours d’une perquisition, un plâtre ancien, numéro 13 de l’inventaire de la collection (?) et un pupitre du piano de madame Thiers ; très étrangement, il bénéficiera d’un non-lieu (merci Barral !).
Thonin Beaupré n’aura pas la même chance et sera condamné à la déportation pour avoir été trouvé détenteur d’une loupe, d’un couteau à papier et d’une bible qu’il voulait offrir à la fille de sa maîtresse, une dame Colleau, marchande de vieux meubles ; ça méritait bien 10 ans de bagne ! Un lieutenant ne sera pas poursuivi, bien qu’il ait avoué que le vin de la cave ne valait pas son ordinaire.
Bredin, sergent-major tripier de son état, était le receleur des objets volés par sa compagnie.
Un comité se réunissait dans sa boutique et se partageait le butin en buvant le vin de Thiers.
Roubeau, devenu amnésique…, trouvé en possession d’une baguette de bois doré, n’a gardé aucun souvenir de sa participation.
Les 2 caporaux Mongin Claude (155 rue de la Chapelle) et Plantier seront retrouvés possesseurs de morceaux d’étoffes déchirées et de glands d’embrasses de rideaux ornant le salon de la « presque reine de France » (Mme Dosne) selon Balzac.
G (?), clerc d’huissier, s’appropria les oeuvres complètes de Delille.
L’épicier Truet a exposé au mur de sa boutique une faïence XVIII° de la collection de Mme Thiers, ce qui va le conduire tout droit en prison.
Jules Fontaine devra répondre des vols commis ce jour là, devant le 5° conseil de guerre qui tentera de le faire passer pour un voleur et qui le condamnera à 20 ans de travaux forcés.
Dans des lettres inédites, Louise Michel semble indiquer que Fontaine aurait gardé des « documents compromettants pour Thiers ». Andrieu, de son côté, laisse entendre dans ses souvenirs à peu près la même chose.
Pendant ce temps, la séance de la Commune, convoquée à 2 heures précises, se réunit à 3 heures et demi sous la présidence de Félix Pyat, démissionnaire la veille du Comité de salut public. La démolition est à l’ordre du jour, mais ne sera évoquée que vers huit heures moins le quart.
A l’heure prévue du « démontage » (16h), les délégués sont là : Jules Andrieu, maigre, voûté, borgne (il s’était à l’âge de dix ans crevé l’il droit avec un ciseau en voulant défaire un nud de ses lacets de soulier), Eugène Protot, Jules Fontaine, Gaston Da Costa, de très petite taille (on croirait un enfant – il n’a pas encore 21 ans), le teint blanc, un peu ridicule avec son pince-nez, son chapeau haut-de-forme, le col de sa veste rabattu, substitut du procureur de la Commune. Le commissaire de police du quartier Saint-Georges, Noguès, les accompagne. Il ne semble pas que les délégués de la Commune, du neuvième arrondissement, Guérin, l’agent d’affaires du 57 rue du faubourg Montmartre et Portalier, le bottier de la rue de Châteaudun, nommés après l’éviction de Bayeux-Dumesnil, soient sur place.
Maintenant, des rues Saint Georges et Notre Dame de Lorette, on entend des slogans hostiles à la Commune…
Inquiets, Andrieu et Protot, accompagnés du commissaire de police Martial Louis Antoine Noguès (14 rue Clausel), ordonnent à Da Costa de requérir des renforts. Une estafette à cheval équipé d’une carabine à répétition Scharp, un bonnet phrygien maladroitement gravé sur la crosse qui suscite l’admiration de quelques soldats, est envoyée à l’ex-préfecture, rue de Jérusalem, d’où un bataillon des « Vengeurs de Flourens » commandé par Filleau de Saint Hilaire (l’organisateur du corps des Vengeurs) arrive une demi-heure plus tard. Il va frayer un chemin aux « officiels », faire reculer la foule menaçante et former un cordon jusqu’à l’abreuvoir à chevaux du milieu de la place.
Protot, avocat dans le civil, tente un discours vite étouffé par les clameurs.
Un peu désemparé, Gaston Da Costa va chercher des paveurs qui travaillent à l’angle des rues Notre-Dame-de-Lorette et Martyrs, devant le marchand de couleurs Gouache. Ceux-ci, pas très à l’aise devant l’hostilité des manifestants, refusent dans un premier temps de faire ce qu’on leur demande.
Alors, pour donner l’exemple, Gaston Da Costa monte les étages et, par le grenier, arrive sur le toit. Armé d’une pioche empruntée à un ouvrier, il entreprend maladroitement de casser une cheminée. Encouragés par l’exemple les paveurs se mettent bientôt à la tâche, pendant que Protot au rez-de-chaussée, sous les huées, de la foule, brise à l’aide de sa canne les vitres de la véranda.
Nerveux, les Gardes nationaux repoussent les passants et interpellent quelques « braillards » pour les conduire au poste de la mairie rue Drouot. D’après Da Costa dans ses souvenirs, ils seront relâchés aussitôt.
Vers 19 heures, une escouade de gardes du 116°, qui venaient, après leur service, de rendre leur fusil qui devait être déposé le soir à la mairie rue Drouot, stationnent quelques instants sur la place. Puis ils se rendent au bureau des contributions 21 rue d’Aumale, accueillis par Antoine Gourdon (29 ans, ancien tailleur de pierre), percepteur des 9°, 13 et 14° arrondissements. Un vin d’honneur les attend pour célébrer l’événement.
L’entreprise de démolition durera plusieurs jours.
Le 15 mai, un journal constate : « Les travaux de destruction avancent ; la maison de monsieur Thiers est dévastée peu à peu ; on travaille à sa démolition avec continuité et lambinerie, comme si, prenant plaisir à la chose, on voulût la faire durer longtemps. » On peut lire dans La Patrie du 20 mai :
« La nuit dernière, une vive lueur partant de la place Saint-Georges avait jeté l’émoi dans le quartier Notre-Dame-de-Lorette. C’était simplement un feu de bivouac allumé par les gardes nationaux dans l’hôtel de M. Thiers, avec les débris provenant de son déménagement forcé.
Cette opération n’était point terminée ce matin, car des voitures de déménagement stationnaient encore dans la cour ; la bibliothèque et les tableaux n’étaient point encore enlevés (?).
La démolition avait commencé cependant (…).
On aurait pu croire, à voir la foule se porter dans la journée à la place Saint-Georges, que la population parisienne se rendait à un pèlerinage.
La place était littéralement encombrée. Les gardes nationaux avaient fort à faire pour maintenir la circulation. On peut déduire de l’activité des travaux qui ont été commencés hier seulement que, dans deux jours, il ne restera plus une pierre de l’immeuble de la place Saint-Georges.
A l’heure où nous écrivons, la toiture de l’édifice a disparu, ainsi que l’attique de l’aile gauche. »
Puis devant les risques d’accident, les travaux seront abandonnés, laissant debout seulement les pans de mur du premier étage.
Unique acteur présents le 12 mai, Protot retournera assister à la séance de la Commune convoquée ce jour là.
Chapitre III : Le pillage organisé.
Il y eut bien des vols organisés, mais pas toujours pour le bénéfice de ceux que certains accusent, se basant sur les racontars de journaux haineux et malveillants. On retrouve encore aujourd’hui les mêmes « canards »à propos des évènements de la Commune de Paris.
Depuis la fuite à Versailles de l’auteur de l’Histoire de la Révolution, la maison fut gardée successivement par 6 bataillons du XVIII° arrondissement : le 37°, le 61°, le 64°, 79°, 124° et le 158°. Mais, c’était surtout la douzième compagnie du 64° Bataillon, composée d’environ 55 hommes dont 24 sont restées en permanence, qui ont assuré la surveillance et la garde de ce lieu. Ce bataillon était commandé par le capitaine Henri Jean-Baptiste Paupardin*, entrepreneur de menuiserie, chanteur lyrique à l’occasion, habitant le 54 boulevard de la Chapelle.
Le 14 avril, dans la matinée, l’hôtel fut fouillé ; on y saisit des papiers et de l’argenterie.
On peut lire dans le J.O. p359 le document daté du 18 avril suivant : Nous soussignés gardes nationaux à la 7° compagnie du 32° bataillon, protestons avec énergie (…). Il a été fait une perquisition par les soins d’un envoyé de la Commune, assisté de 2 personnes pourvues d’un mandat régulier (…).
Les employés du citoyen Thiers qui n’ont pas quitté l’hôtel peuvent attester la véracité de ce que nous avançons.
Paris le 19 avril 1871
Le chef de poste : Maury, rue Marcadet, 167
; le caporal : E.Cadot, rue Ramey, 38 ;
Roland ; E.Choquier ; A.Lebeguy ; Morel ; F.Jolivet ; Mesure ; Marçaire; Zizeau ; Poncelain ; Vagner ; E.Busigny ; Jakol ; Fournier ; Ed.Gaumond ; Constant.
Vu et approuvé pour la 7° compagnie du 32° bataillon.
Ont signé, pour les employés présents à l’hôtel :
Pouzas Felix, valet de pied, Challet David, concierge de l’hôtel.
(Rectification des erreurs ou omissions du J.O de la Commune : Cadot Eugène était libraire, Mesurel François, entrepreneur de menuiserie, 37 rue Ramey, Lebègue Alphonse était épicier au 42 rue Ramey, Morel Paul, marchand de nouveautés, Choquier Henri, 22 rue Norvin, était employé, Wagner Frédérique, facteur de piano imp. Pers 2 (?).
Le même jour, les ateliers Cail de l’avenue Trudaine viennent de livrer une nouvelle canonnière à la Commune, nommée « la Voltigeuse ».
Le 14 avril, dans la matinée, l’hôtel fut fouillé ; on y saisit des papiers et de l’argenterie.
Les perquisitions sauvages se multipliant, Auguste Vermorel (élu dans le XVIII°), délégué à la justice, fera rendre un décret qui ne sera jamais respecté, indiquant :
« Article 3. Aucune perquisition ou réquisition ne pourra être faite qu’elle n’ait été ordonnée par l’autorité compétente ou ses organes immédiats, porteurs de mandats réguliers, délivrés au nom des pouvoirs constitués de la Commune. Toute perquisition ou réquisition arbitraire entraînera la mise en accusation de ses auteurs ».
Le service des réquisitions avait été centralisé dans une seule administration, celle des Domaines dirigée par Fontaine, professeur de mathématiques aux lycées Saint-Louis et Bonaparte (aujourd’hui Condorcet).
Un personnage dans cette affaire va jouer un rôle déterminant : Barral de Montaud, colonel dans l’armée régulière, qui choisit de « servir » la Commune pour pouvoir mieux la désorganiser et informer l’armée de Mac-Mahon par l’intermédiaire de Barhélemy-Saint-Hilaire, directeur de cabinet du chef du gouvernement.
Il sera même nommé juge d’instruction par Raoul Rigault.
Rossel, délégué à la guerre de la Commune, dirige Barral vers Razoua, commandant du 61° bataillon de Montmartre. Puis Barral sera nommé par Simon Mayer (commandant en chef de l’état-major de la Garde nationale, place Vendôme) lieutenant colonel d’état-major dans le XVII°arrondissement.
Grâce à de savantes intrigues, il se fera muter dans le 7°. Là, il gagnera la confiance d’Urbain, le délégué à l’enseignement élu de cet arrondissement qui lui donnera ses pouvoirs pour l’administration de la 7° légion. (Pendant son procès devant le conseil de guerre, Urbain sera dénoncé par Barral de Montault, qui témoignera à charge, provoquant le dégoût et le mépris des juges de la cour de justice.
Munis de passeports prussien et versaillais, Barral fera de nombreux aller-retour Paris-Versailles, donnant des renseignements sur les moyens de défense des communards. Il reconnu lui-même avoir touché directement de Thiers 10 000 francs en espèces pour rétribuer des agents de Versailles restés dans la capitale. Des rendez-vous clandestins avaient lieu « chez Vachette » (le Bréban, rue du faubourg Montmartre).
Le mobilier de l’hôtel de la place Saint-Georges fut, comme on l’a vu, transporté au Garde-meuble de l’Avenue Rapp situé dans… le VII° arrondissement, donc sous la garde de Barral !… qui pourra, pour la « bonne cause », fermer les yeux sur certains détournements d’objets que l’on retrouvera miraculeusement dans le nouvel hôtel du Président de la République.
Le 18 Mai, vers six heures, une déflagration va secouer la capitale. La cartoucherie de l’avenue Rapp va être soufflée par une explosion dont ne connaîtra sans doute jamais l’origine. Les pertes sont énormes, on peut difficilement dénombrer les morts, plus de cent selon le Comité de salut public, et de nombreux blessés. Détail curieux : presque toutes les pendules du quartier avoisinant se sont arrêtées à six heures moins dix.
Mais, dommage collatéral, Barral de Montaud écrit à Barthélemy-Saint-Hilaire : « Lors de l’explosion, le Garde-meuble dans lequel j’avais fait transporter le mobilier de M. Thiers au moyen d’une influence quelconque, souffrit beaucoup et vit ses parois enfoncées et ses toitures effondrées » (c’est moi qui souligne, Barral ayant une légère tendance à se donner un rôle avantageux lors des Conseils de guerre et devant la Commission d’enquête parlementaire, la décision avait été prise par Fontaine).
Le même adresse un ordre à « L’administration du mobilier de la Couronne » : « Au sous-chef de la légion.
Citoyen : le Garde-meuble qui possède des millions de valeur appartenant à l’Etat, ainsi que le mobilier de Monsieur Thiers, est à ciel découvert. Veuillez, s’il vous plait, envoyer au Garde-meuble une compagnie de service.
Pour le représentant du directeur A. Munier
Salut et fraternité.
Le chef d’Etat-major :
Barral de Montaud ».
L’ordre, signé du directeur et envoyé à 7 heures et demi du soir, fait doubler le poste de pompiers.
Le 20 mai vers six heures, un obus incendiaire de l’armée de Mac Mahon tombe sur le Garde-meuble, faisant des dommages considérables. Barral minimisera les dégâts, et, toujours selon lui fera transférer (bien mal lui en prit) le mobilier au Louvres et aux Tuileries.
Le lendemain du jour où parut le décret, Les comtes Jaubert et Dupeyre proposèrent de relever cet immeuble aux frais du trésor public, ce qui fut voté à l’unanimité avec, pour faire bonne mesure, sur une motion de Cazenove de Pradines, le vote de prières publiques pour appeler la miséricorde de Dieu sur les déchirements de la France. Ces votes se confondirent dans le même mouvement patriotique avec la bénédiction des libres-penseurs du gouvernement !
Arrêté lors de l’avance de l’armée versaillaise, Barral de Montaud fut relâché au vu d’interventions et des documents suivant :
Paris, 28 mai 1871,
Je certifie que monsieur de Montault, colonel de la 7° légion, Alsace-Lorraine, ayant été arrêté chef d’état-major du 7° arrondissement, au service de la Commune, a été rendu à la liberté sur la demande du colonel d’Alzac (sic), chef d’état-major du maréchal Mac-Mahon (M. de Montaud était porteur d’un laisser-passer du Maréchal Mac-Mahon et d’un laisser passer de M. Thiers).
Le Prévôt du 5° corps
Signé : de Trévelin.
Vu par nous, maire du 9° arrondissement
Le 28 mai 1871
Signé : E.Ferry, adjoint
Vu par nous
Pour le colonel commandant le 9° arrondissement
Le commandant d’état-major
Signé : R. Larquez
29 mai 1871
Versailles 3 juin 1871
J’atteste que M. de Montaud, tout en étant resté à Paris dans la Garde nationale, a servi le parti de l’ordre, d’accord avec les personnes qui de Versailles s’entendaient avec lui.
Signé : Barthélemy Saint Hilaire, représentant du peuple.
On retrouvera après la Commune, chez la comtesse de Massa (cousine des Dosne), du mobilier provenant de la place Saint Georges. Adolphe Thiers lui en fera cadeau, en remerciement de nombreuses uvres qu’elle aurait ainsi pu préserver et lui restituer.
A SUIVRE…
PS : Les archives du commissaire Lombard n’ont pas à ce jour été retrouvées. Destitué en 1877 par le préfet de police Léon Bienvenu, nous pouvons penser que ses dossiers avaient été mis à l’abri, et que peut-être un jour, ils referont surface.
Ce commissaire spécial avait eu la haute main sur la police secrète, depuis la fin du Second Empire. Il ne devait de compte à personne sauf au ministre, et il était le seul à connaître l’identité de ses informateurs.