Avec cet ouvrage publié pour les 60 ans de la mort de l’écrivain, Jean-Claude Perrier dévoile des traces que Gide a laissées volontairement ou involontairement derrière lui, non seulement au cours de ses nombreux voyages, mais aussi dans ses différentes demeures.
Qui dit voyage dit projet, découvertes et surprises, photos, carnet de voyage, cartes et plans, rencontres, témoins, etc. Tout cela se retrouve dans environ 200 documents souvent inédits auxquels Jean-Claude Perrier a eu accès grâce à la Fondation Catherine Gide (fille de l’écrivain) et qu’il situe et raconte avec une belle plume. On découvre même la cantine de fer qui accompagnait Gide dans ses voyages, retrouvée intacte en 2007 dans la cave du 1 bis rue Vaneau, avec des vêtements en parfait état !
On accompagne ainsi l’écrivain dans ses expéditions, tel son voyage en 1936 en URSS, qui donnera Retour de l’URSS puis Retouches à mon « Retour de l’URSS ». On le voit se faire censurer un discours à Leningrad et croiser brièvement Staline à l’occasion des funérailles de Gorki le 20 juin 1936. On (re)découvre les furieuses polémiques déclenchées par ces deux ouvrages, comme par son Voyage au Congo et son Retour du Tchad en 1927-28. Correspondance, cahiers de travail et manuscrits, articles de presse français et étrangers sont précieux pour retrouver l’air du temps et la précision des faits, durant cette période de l’entre-deux guerres où de nombreux écrivains et artistes s’engagent pour ou contre le communisme, d’une façon entière sinon virulente que l’on a oubliée aujourd’hui. Gide, dans ce paysage, étonne par sa nuance et son attachement à la vérité.
Entre deux chapitres consacrés aux voyages s’en intercalent d’autres, plus thématiques : « Quelques compagnons de voyages », « Gide en ses demeures », « Famille, je t’aime », « Le Bypeed[[Surnom que lui a donné son entourage : le bipède.]] voyage », « L’Inde, un rendez-vous manqué ? » et « Les au-delà… » (sur ses derniers mois).
Sur le thème des lieux, si l’on visite les résidences gidiennes bien connues (Cuverville, La Roque-Baignard, le 1bis rue Vaneau et les autres adresses parisiennes,…) on découvre d’autres lieux de vie ou de passage plus ignorés : La Mivoie, maison du XVIIIe siècle située près de Lévy-Saint-Nom dans les Yvelines, que Gide offre à Catherine en 1948 avec une partie de son prix Nobel de 1947 ; la maison des Audides, qu’Élisabeth Van Rysselberghe et Pierre Herbart achètent à Cabris en 1936 ; le pensionnat pour jeunes filles de La Pelouse à Bex, en Suisse, où Catherine Gide étudie aux côtés… d’Indira Gandhi…
Tous ces documents inédits permettent de pénétrer dans l’intimité de Gide et de côtoyer un homme humain et sincère dans ses rêves, ses attachements, ses faiblesses et ses combats. Des portraits photographiques qui émaillent l’ouvrage émane une grande douceur. On a l’impression que Gide s’y efforce de ne pas sourire.
Un seul regret : le prix élevé de ce beau livre, qui le réserve à une élite fortunée.
André Gide ou la tentation nomade, de Jean-Claude Perrier. 2011, Flammarion, 192 pages, 45 €.