Dès 1946, Bernard Clavel s’installe avec sa femme et son premier fils dans une petite maison à Vernaison, village situé à la sortie sud de l’agglomération lyonnaise. Il se sent libre, un ‘sauvageon’ dit-on, toujours pieds nus dans ses sahariennes, vivant l’existence quotidienne des riverains dans ce milieu entre terre et eau qu’on appelle ‘les lônes’ du Rhône, formées d’une végétation touffue de plantes et d’arbustes parfois épineux, les vorgines. Il aimait sentir la matière vivante, créer de ses mains comme son père pétrissait son pain, maniait avec plaisir la truelle et le rabot et passait de longues heures devant son chevalet à tenter de saisir sur sa toile les reflets irisés des eaux changeantes du Rhône.
Il écrit aussi et le virus de l’écriture ne va pas tarder à supplanter la peinture. Débuts difficiles avec la naissance de deux enfants, une vie d’artiste ponctuée de petits boulots. Il commence à écrire dans la revue Résonances dirigée par Régis Neyret, nombre d’articles sur la culture locale puis sera homme de radio à Radio-Lyon, s’exerçant à la fiction. Il connaît quelques succès d’estime, prix Résonances du jury (présidé par André Maurois) et prix des lecteurs pour sa nouvelle La Cane. Il publie en feuilleton dans le journal Le Progrès de Lyon un récit intitulé Vorgines, histoire largement inspirée de sa vie à Vernaison, paru plus tard sous le titre Pirates du Rhône (« Il y a encore des gens qui me disent : « Je vous ai découvert en lisant Vorgines dans Le Progrès », aime à dire Bernard Clavel). En 1957, il quitte Vernaison pour s’installer à Lyon, d’abord sur les rives de Saône, quai Romain Rolland dans le Vieux-Lyon puis à partir de 1961, sur le cours de la Liberté dans le quartier de la Préfecture.
Sa relation particulière avec Lyon et le Rhône naîtra très tôt d’un premier voyage chez des cousins qui habitent sur le cours Gambetta, près du fleuve et de la ‘place du Pont’. Il veut absolument voir les bas-ports du Rhône au pont de La Guillotière où débarqua « le Petit Chose » en oubliant son perroquet, cet endroit où « l’Hôtel-Dieu se reflète dans le fleuve. » (les bâtiments de l’Hôtel-Dieu s’élèvent sur le quai, à l’angle de la rue de la Barre, face au pont de La Guillotière). Il évoquera plus tard ce souvenir, écrivant : « Tout ce que j’ai écrit sur la batellerie, sur la puissance du Rhône, est parti de là. La ville de Lyon est devenue en quelque sorte ma deuxième patrie après le Jura. » Le Rhône exercera sur le gamin qu’il était alors, une telle fascination qu’il en fera le ‘héros’ de plusieurs de ses romans, jusque dans ses dernières œuvres (sur sa description du Rhône, en particulier sur sa puissance, voir ses deux romans « Le Seigneur du fleuve » et « La Table du roi »). Il écrira même un roman, La Révolte à 5 sous, dont la ville de Lyon est le véritable héros, histoire d’une des révoltes des canuts, les ouvriers lyonnais qui travaillaient la soie, qui ont émaillé le XIXe siècle (sur la révolte des Canuts, voir l’excellent livre de l’historien lyonnais Fernand Rude : « La révolte des canuts, 1831-1834 », essai (poche), paru en 09/2007).
Quelques temps après, lors d’une autre visite avec son père qui recherche son ami Ponard, il parcourt à pieds tout le quartier de la Croix-Rousse, arpentant les Pentes à partir de la place des Terreaux, passant devant le bâtiment des Beaux-Arts qu’il aurait aimé fréquenté, sillonnant en vain les rues du Plateau. Le lendemain, ils firent de même dans le quartier de La Guillotière où ils finirent par débusquer l’ami boulanger. De son premier roman, sa seconde femme Josette Pratte dira : « C’est exactement l’atmosphère qu’on retrouve dans tes romans lyonnais. » (roman intitulé « Le Retour », jamais publié et déposé dans le fonds Bernard Clavel à la bibliothèque de Lausanne). Atmosphère qu’on retrouve aussi avec cette neige sale des rues de la Presqu’île entre la place Bellecour et la gare de Perrache dans son roman Le Retour du père ou les rues étroites et tristes du Vieux-Lyon dans L’Homme du Labrador.
Á Lyon, il se lie d’amitié avec deux autres écrivains lyonnais Gabriel Chevallier (écrivain lyonnais surtout connu pour avoir écrit Clochemerle et la suite en trois volumes ; Bernard Clavel aimait surtout son roman La Peur, dénonciation de la guerre) et Jean Reverzy, « le médecin des pauvres », pour qui, confie-t-il dans une interview : « J’ai pleuré comme un enfant quand il est mort en juillet 1959. » Avec Reverzy, ce n’est pas seulement la littérature qui les unit, leur passion commune pour Gauguin (Clavel écrira à cette époque une biographie du peintre Paul Gauguin), c’est une vision commune de la vie, « son poids d’humanité vraiment extraordinaire. » Gabriel Chevallier est plus distant, d’un abord plus difficile, mais, confie Bernard Clavel, « nous avons mis du temps à nous connaître, c’est ensuite une amitié indéfectible. »
C’est aussi à Lyon que Bernard Clavel va commencer le long combat pour la liberté, contre la violence et la guerre, qu’il mènera toute sa vie (voir en particulier son essai-témoignage intitulé Le Massacre des innocents). Il dénoncera par exemple les défilés militaires dans un article de Résonances. Il se battra contre les injustices et sera en particulier aux côté de Robert Boyer pour demander la révision du procès de Jean-Marie Devaux, injustement condamné pour le meurtre d’une fillette à Bron dans la banlieue lyonnaise (voir ma fiche sur L’Affaire Deveaux).
Cette fiche monographique a été réalisée le 5 octobre 2011 pour célébrer le premier anniversaire de la disparition de l’écrivain.
Courmangoux le 5 décembre 2011 par Christian Broussas, Christian.broussas at orange.fr
Références bibliographiques
– Bernard Clavel, Les Petits bonheurs, éditions Albin Michel, 1999, autobiographie sur sa prime enfance
– Adeline Rivart, Bernard Clavel, qui êtes-vous ?, éditions Livre de poche J’ai lu, 1985, ensemble d’interviews entre l’auteur et Bernard Clavel
– Maurice Chavardès, Écrit sur la neige, éditions Stock, 1977, ensemble d’interviews entre l’auteur et Bernard Clavel
Autres fiches à consulter sur ce site :
– Bernard CLAVEL à Courmangoux dans le Revermont
– Bernard CLAVEL à Château-Châlon
– Sur les pas de Bernard CLAVEL à Dole