Il est cinq heures de l’après-midi.
Alexandre Chatrian rejoint Émile Erckmann dans sa chambre meublée du 100 boulevard Magenta, près de la gare de l’Est à Paris. Nous sommes dans les années 1860, et chaque jour, comme le décrit Jean-Pierre Rioux dans son introduction à l’Histoire d’un conscrit (Editions J’ai lu), les deux compères relisent les pages qu’Erckmann a rédigées la veille. Il saute ensuite dans le train pour aller respirer à Phalsbourg, et Chatrian, l’impresario du binôme, fait le tour des journaux et éditeurs pour placer le manuscrit au meilleur prix.
À l’heure où littératures régionaliste et exotique s’épanouissent avec Daudet, Maupassant, Loti, Erckmann et Chatrian font revivre, depuis Paris, leur région d’entre l’Alsace, les Vosges et la Lorraine. Dans la lignée de Michelet qui en a écrit l’Histoire (Erckmann était un de ses fervents auditeurs au Collège de France lors de ses années d’études de droit à Paris) et d’Eugène Sue, ils veulent redonner au peuple la première place, d’abord au travers de récits édifiants et fantastiques, puis (sans abandonner le souci d’instruction civique et de couleur locale) au travers d’un genre qu’ils inventent vers 1861 : le « roman national ». Ce nouveau genre, entre création littéraire et produit marketing -« il faut travailler en vue du public et, tranchons le mot, du succès », dit Chatrian- trouve rapidement ses marques et son public, comme, encore de nos jours, certains genres historico-littéraires. Au milieu des années 1860, l’assouplissement de la censure impériale et les programmes ambitieux de l’enseignement public ouvrent la porte aux récits qui éduquent le peuple et ses enfants.
Napoléon III admire Erckmann, mais celui qu’a enthousiasmé la révolution de 1848 et abattu le coup d’Etat de 1851 reste fidèle jusqu’au bout à l’idée républicaine… et ne deviendra pas un auteur officiel. La perte de l’Alsace-Lorraine en 1871 provoque une déchirure dans le coeur des deux partenaires et met un terme à leur entente.
Zola pourra écrire dans Mes haines (1879) que le monde des romans nationaux d’Erckmann-Chatrian repose sur le « mensonge éternel dans les peintures de l’âme, systématiquement adoucies ».
Autres demeures de l’auteur
Quelques autres lieux de la vie d’Erckmann-Chatrian :
Erckmann naît à Phalsbourg le 22 mai 1822, 20 rue Lobau.
Son père est relieur-papetier-libraire, ancien volontaire des armées révolutionnaires. Il tient boutique place des Acacias et la famille habite rue des Capucins.
Chatrian naît le 18 décembre 1826 à Grand-Soldat (Soldatenthal), près d’Abreschwiller. Son père, maître verrier, est bientôt ruiné par le progrès technique.
Ils se rencontrent en 1847 au collège de Phalsbourg. Ils s’évadent de la vie triste du collège par l’imagination, les lectures dans les cafés (Rousseau, Goethe, Schiller…), les balades dans la campagne et les rêves de gloire.
En 1873, Erckmann quitte Phalsbourg pour Saint-Dié.
Il se retire à Lunéville, où il est enterré, tandis que Chatrian reste parisien, avant de s’installer au Raincy puis à Villemomble, toujours près de Paris.
Pour visiter le lieu
Le musée historique et militaire, situé dans les murs de l’hôtel de ville de Phalsbourg (Place d’Armes, 57370 Phalsbourg), abrite une salle Erckmann-Chatrian. Pour tous renseignements : 03 87 24 41 20.
Quelqu’un à contacter ?
Les Amis d’Erckmann-Chatrian ont leur siège au Centre de recherches révolutionnaires et romantiques, 29 boulevard Gergovia, 63037 Clermont-Ferrand (tél. : 05 73 34 65 16 ou 05 73 34 65 32).
À voir aux alentours
Petite bibliographie
Erckmann et Chatrian, le trait d’union. Jean-Pierre Rioux, Gallimard, collection « L’un et l’autre », 1989.