« Je ne suis pas étonné que ce roman, dont le héros est un frippon et l’héroïne une catin […] plaise, parce que toutes les mauvaises actions du héros […] ont pour motif l’amour, qui est toujours un motif noble, quoique la conduite soit basse. » Montesquieu. Mémoires.
Trente ans avant la naissance de la romantique Héloïse (sous la plume de Rousseau), apparaît la martyre Manon.
Manon Lescaut est l’histoire tragique et presque vécue en 1719 (écrite dans une langue magnifique et publiée en 1733), du futur abbé François Prévost d’Exiles -à un détail crucial près, qui est que Prévost ne peut, comme des Grieux, embarquer pour la Louisiane avec sa Manon.
Aujourd’hui à Paris, l’hôpital de la Salpétrière garde mémoire du passage de Manon. Le « puits de Manon », où elle venait chercher l’eau de sa toilette, se trouve dans une cour intérieure derrière la porte 2 du bâtiment 41 – le « bâtiment de la Force », situé place Camatte Zaydolf, en arrière de la chapelle sur le côté gauche.
Malheureusement, l’accès n’y est pas public… mais le personnel hospitalier est… hospitalier, et autorise à jeter un œil.
C’est dans ce bâtiment que la vraie Manon et la légendaire sont retenues prisonnières avant leur départ pour la Nouvelle Orléans. La Salpétrière, depuis 1654 « hôpital général pour l’enfermement des pauvres », accueille en effet, bientôt, des filles et femmes « de mauvaise vie », ou celles que leurs maris font passer comme telles…[[Depuis 1717, la colonisation forcée a commencé en Louisiane, et on essaie de trouver des épouses aux colons français installés là-bas, en allant jusqu’à « proposer » à certaines condamnées en métropole d’échanger leur liberté contre un « mariage colonial » là-bas.
Manon l’infidèle, la voleuse et la pervertie n’échappe pas à ce sort.
Les autres lieux du roman, à part la rue Vivienne où vivent un moment Manon et Des Grieux et le séminaire Saint-Sulpice, où Des Grieux étudie avant d’y être retrouvé par Manon, ne sont pas bien définis (la précision géographique n’étant pas le souci de l’époque).]].
– Antoine-François Prévost naît en 1697 à Hesdin (11 rue Daniel-Lereuil), aux limites de l’Artois et de la Picardie. Il prend vite goût aux lectures poétiques et romanesques. Il a 14 ans lorsque meurt sa mère.
– Son père l’envoie étudier chez les jésuites. Mais, sans doute suite à des peines de cœur, le voilà qui s’engage dans les armées du roi. En 1713, on suppose que la paix le renvoie étudier chez les jésuites.
– En 1719, c’est l’épisode Manon. Pour s’en remettre, il veut donner sa vie aux jésuites… qui la refusent. Mais les moines bénédictins l’acceptent (dans l’abbaye de Saint-Wandrille, près de Rouen). En 1726, il devient abbé. Il prêche à Évreux puis est chargé, à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés à Paris, de mener des travaux historiques. Fin 1728, Prévost s’enfuit en Angleterre, après la parution des quatre premiers tomes de ses Mémoires d’un homme de qualité. C’en est a priori fini de ses relations avec les bénédictins.
– Après de multiples aventures et voyages plus ou moins forcés – mais toujours brûlé par le feu de l’écriture (Manon Lescaut provoque le scandale et rencontre le succès en 1733) -, il obtient en 1734 le pardon du pape et des bénédictins. En 1736, il est aumônier du prince de Conti, qui l’héberge rue Guénégaud. Il continue d’écrire (des récits, des traductions, des travaux historiques) et ajoute « d’Exiles » à son patronyme.
– Il s’installe en 1746 dans ce qui est à l’époque le village de Chaillot (dans ce même village où Manon et Des Grieux vivent dans le roman).
– En 1754, chargé par le prince de Conti d’écrire l’histoire de la maison de Condé et de Conti, il emménage à Saint-Firmin dans l’Oise, près des archives de Chantilly.
L’abbé meurt d’une attaque d’apoplexie le 25 novembre 1763 à Courteuil[[Parmi les signataires de son acte de décès : le père Dieu, curé de Saint-Firmin…]], à quelques centaines de mètres de Saint-Firmin.
À Courteuil, en haut de la rue qui longe l’église, une croix marque l’emplacement. Un peu plus loin, place des Marronniers à Saint-Nicolas d’Acy, une grille mène vers les vestiges d’un prieuré où il est enterré (la propriété est privée).
À Saint-Firmin, sa maison se trouve en contrebas de l’église, près de la sortie du village vers Senlis. Son nom est encore gravé dans la pierre du portail d’entrée.
Pour visiter le lieu
L’entrée dans le gigantesque hôpital de la Pitié-Salpétrière se fait par le 47 ou le 83 bd de l’Hôpital.
Le pèlerinage à Saint-Firmin et Courteuil vaut le déplacement.
À voir aux alentours
Quelques voisins écrivains, autour de Saint-Firmin et Courteuil :
– Jean-Jacques Rousseau à Ermenonville et à Châalis,
– Gérard de Nerval à Mortefontaine,
– Daniel Boulanger et Louis Bromfield à Senlis,
– Dumas et Vigny à Valgenceuse,
– Bernanos et Martin du Gard à Clermont,
– Barbusse à Aumont-en-Halatte.