Le Curé de Tours.
De cette ville peu littéraire, Balzac va se charger de faire une cité habitée… par lui, et par des personnages sortant du commun, ou très ordinaires.
Il naît à Tours en 1799 (1), rue Royale (aujourd’hui 47 rue Nationale, mais le bâtiment a été détruit en 1940), avant de partir en nourrice non loin, à Saint-Cyr-sur-Loire.
En 1804, ses parents emménagent à l’actuel 53 de la même rue. Monsieur Balzac est devenu directeur de l’hospice et adjoint au maire. Honoré vit ici entre sa quatrième et sa septième année et étudie à la pension Le Guay (voir plus bas), avant d’intégrer en interne le collège de Vendôme. Suite à un changement de préfet, la situation de Monsieur Balzac devient délicate en 1808, et la famille perd un peu de son statut social.
La rue a été reconstruite après la dernière guerre, mais la maison des Balzac existe toujours. Un panonceau en garde la mémoire.
Au 7 rue des Cerisiers, un hôtel du XVIe siècle abrite une institution Vauquer où étudie vers 1814 Laure, la soeur de l’écrivain, et qui a légué son nom à la pension du Père Goriot.
La ville est par ailleurs le décor principal de deux grandes nouvelles balzaciennes : Maître Cornélius et Le Curé de Tours, et le décor temporaire du Lys dans la vallée (et le décor encore plus temporaire d’autres récits encore).
En procédant chronologiquement, nous trouvons d’abord Maître Cornélius, écrit en novembre et décembre 1831 à Saché, belle nouvelle romantique et policière aux accents de Walter Scott (d’ailleurs cité dans la nouvelle).
Le roi Louis XI y mène lui-même l’enquête. Le cadre du récit est, en 1479, la cathédrale – où « les statues semblaient animées, et les hommes paraissaient pétrifiés » – et la rue du Mûrier.
A l’extrémité Ouest de cette rue s’élèvent l’hôtel de Poitiers, demeure fortifiée du comte de Saint-Vallier, méchant mari de la comtesse, fille du roi, et la Malemaison, demeure de maître Cornélius, riche homme d’affaires avare, banquier du roi, que les Tourangeaux nomment le tortionnaire car ses différents valets, accusés de vol, furent tous exécutés.
Le récit commence alors que Georges d’Estouteville, amoureux de la comtesse, jure à celle-ci dans la cathédrale qu’il la retrouvera dans la nuit, en pénétrant chez elle depuis la maison de Cornélius. on peut ensuite suivre le trajet que font le comte et la comtesse depuis la cathédrale jusqu’à la rue du Mûrier, en passant par la rue de la Scellerie et la rue du Commerce :
Beaucoup de rues adjacentes à celle de la Scellerie, et qui forment aujourd’hui le centre du Tours moderne, étaient déjà construites ; mais les plus beaux hôtels, et notamment celui du trésorier Xancoings, maison qui subsiste encore dans la rue du Commerce, étaient situés dans la commune de Châteauneuf. Ce fut par là que les porte-flambeaux du sire de Saint-Vallier le guidèrent vers la partie du bourg qui avoisinait la Loire. […] Enfin, le comte arriva dans la rue du Mûrier, où son logis était situé. Lorsque son cortége fut entré, que la lourde porte fut fermée, un profond silence régna dans cette rue étroite où logeaient alors quelques seigneurs, car ce nouveau quartier de la ville avoisinait le Plessis, séjour habituel du roi, chez qui les courtisans pouvaient aller en un moment. La dernière maison de cette rue était aussi la dernière de la ville, et appartenait à maître Cornélius Hoogworst, vieux négociant brabançon, à qui le roi Louis XI accordait sa confiance dans les transactions financières que sa politique astucieuse l’obligeait à faire au dehors du royaume. […] En voyant le profil des logis occupés par maître Cornélius et par le comte de Poitiers, il était facile de croire que les deux maisons avaient été bâties par le même architecte, et destinées à des tyrans. Toutes deux d’aspect sinistre, ressemblaient à de petites forteresses, et pouvaient être longtemps défendues avec avantage contre une populace furieuse.
On peut imaginer sans grand effort que l’hôtel qui a inspiré à Balzac celui du trésorier Xancoings est l’hôtel Gouin rue du Commerce, aujourd’hui musée (2).
Le Curé de Tours présente moins de cadavres, et un suspense d’un autre genre.
En 1826, l’abbé Birotteau, « franc et maladroit égoïste », frère de César, le fabricant de parfums, est vicaire à la cathédrale Saint-Gatien. Il espère y être nommé chanoine, mais ses projets vont être contrariés par les manoeuvres de sa logeuse, Mademoiselle Gamard.
Jadis, il existait dans le Cloître, du côté de la Grand’rue (3), plusieurs maisons réunies par une clôture, appartenant à la Cathédrale et où logeaient quelques dignitaires du Chapitre. Depuis l’aliénation des biens du clergé, la ville a fait du passage qui sépare ces maisons une rue, nommée rue de la Psalette, et par laquelle on va du Cloître à la Grand’rue. […] Le côté gauche de cette rue est rempli par une seule maison dont les murs sont traversés par les arcs-boutants de Saint-Gatien qui sont implantés dans son petit jardin étroit, de manière à laisser en doute si la Cathédrale fut bâtie avant ou après cet antique logis. Mais en examinant les arabesques et la forme des fenêtres, le cintre de la porte, et l’extérieur de cette maison brunie par le temps, un archéologue voit qu’elle a toujours fait partie du monument magnifique avec lequel elle est mariée. Un antiquaire, s’il y en avait à Tours, une des villes les moins littéraires de France, pourrait même reconnaître, à l’entrée du passage dans le Cloître, quelques vestiges de l’arcade qui formait jadis le portail de ces habitations ecclésiastiques et qui devait s’harmoniser au caractère général de l’édifice. Située au nord de Saint-Gatien, cette maison se trouve continuellement dans les ombres projetées par cette grande cathédrale sur laquelle le temps a jeté son manteau noir, imprimé ses rides, semé son froid humide, ses mousses et ses hautes herbes. Aussi cette habitation est-elle toujours enveloppée dans un profond silence interrompu seulement par le bruit des cloches, par le chant des offices qui franchit les murs de l’église, ou par les cris des choucas nichés dans le sommet des clochers. Cet endroit est un désert de pierres, une solitude pleine de physionomie, et qui ne peut être habitée que par des êtres arrivés à une nullité complète ou doués d’une force d’âme prodigieuse. La maison dont il s’agit avait toujours été occupée par des abbés, et appartenait à une vieille fille nommée mademoiselle Gamard. Quoique ce bien eût été acquis de la nation, pendant la Terreur, par le père de mademoiselle Gamard ; comme depuis vingt ans cette vieille fille y logeait des prêtres, personne ne s’avisait de trouver mauvais, sous la Restauration, qu’une dévote conservât un bien national.
La maison qui, au 8 rue de la Psalette est indiquée par une plaque comme étant celle du « Curé de Tours » est donc la mauvaise, puisqu’il faudrait en chercher l’original plutôt de l’autre côté de la rue.
Le Lys dans la vallée nous fait remonter un peu plus tôt. En 1814, le jeune Félix de Vandenesse participe dans les jardins de la maison Papion à la fête donnée en l’honneur du passage à Tours du duc d’Angoulême, fils du futur Charles X – fête qui eut réellement lieu. C’est là qu’il embrasse furtivement les épaules de Mme de Mortsauf.
Peu de temps après, pour le sortir de son apathie (après l’avoir fait venir de Paris à Tours pour l’éloigner de l’excitation parisienne !) (4), la mère de Félix l’envoie prendre l’air chez des amis qui habitent le château de Frapesle, M. et Mme de Chessel.
Dès ses premiers pas dans cette vallée de l’Indre, Félix devine la présence de la belle dame rencontrée à Tours. Et il n’a pas tort. De Frapesle, on aperçoit le château de Clochegourde, propriété des Mortsauf…
Comme la plupart des passions balzaciennes, celle que porte Félix à Mme de Mortsauf sera funeste.
Aujourd’hui, la vallée de l’Indre entre Saché et Artannes invite à de belles promenades. On comprend que Balzac, pour trouver des demeures à ses personnages, n’a eu qu’à faire son choix entre les châteaux et les grandes fermes qui la décorent.
Clochegourde est situé dans le roman à l’emplacement de La Chevrière, et ses formes s’inspirent de celles de la ferme de Vonne, qui se trouve entre La Chevrière et Artannes.
Le château de Valesnes est le modèle de Frapesle. Balzac emprunte pour son roman le nom de la propriété de Frapesle, appartenant à ses amis Carraud à Issoudun.
Frapesle et Clochegourde sont ainsi, dans la réalité comme dans la fiction, « deux domaines séparés par l’Indre, et d’où chacune des châtelaines pouvait, de sa fenêtre, faire un signe à l’autre ».
Clochegourde est une « habitation […] modeste [qui] a cinq fenêtres de face ; chacune de celles qui terminent la façade exposée au midi s’avance d’environ deux toises, artifice d’architecture qui simule deux pavillons […] ; celle du milieu sert de porte, et on en descend par un double perron dans des jardins étagés qui atteignent à une étroite prairie située le long de l’Indre. »
« Je suivis le chemin de Saché sur la gauche de la rivière, en observant les détails des collines qui meublent la rive opposée. Puis enfin j’atteignis un parc orné d’arbres centenaires qui m’indiqua le château de Frapesle. J’arrivai précisément à l’heure où la cloche annonçait le déjeuner. Après le repas, mon hôte, ne soupçonnant pas que j’étais venu de Tour à pied, me fit parcourir les alentours de sa terre […]. En gravissant une crête, j’admirai pour la première fois le château d’Azay […]. Puis je vis dans un fond les masses romantiques du château de Saché, mélancolique séjour plein d’harmonies, trop graves pour les gens superficiels, chères aux poètes dont l’âme est endolorie. […] Mais chaque fois que je retrouvais au penchant de la côte voisine le mignon castel aperçu, choisi par mon premier regard, je m’y arrêtais complaisamment. […]
– Ceci est Clochegourde, me dit [mon hôte]. »
Notes :
(1) : Le 1er prairial de l’an VII, soit le 20 mai 1799, peu de temps avant le coup d’Etat de Bonaparte du 18 brumaire qui met un terme au Directoire et inaugure le Consulat. Monsieur Balzac père est directeur des vivres de la divison militaire de Tours, à une époque où la guerre bat son son plein contre les chouans et les vendéens.
(2) : Cet hôtel du XVe siècle se trouve 25 rue du Commerce. Il est ouvert toute l’année et abrite un panorama de l’histoire de la région, ainsi qu’une collection d’objets de physique provenant de Chenonceau et expérimentés par Jean-Jacques Rousseau.
(3) : Aujourd’hui rue Albert-Thomas.
(4) : C’est un peu ce qui est arrivé à Balzac : il est amené du collège de Vendôme à Tours au printemps 1813 suite à une sorte de « congestion cérébrale », puis à Paris à l’institution Ganser et Beuzelin, puis, sorti de Paris au printemps 1814 avant l’arrivée des armées étrangères dans la capitale, le voilà de nouveau à Tours.
Petite bibliographie
Guide Balzac. Philippe Bruneau, éditions Hazan.