Ce n’est qu’à l’approche de la cinquantaine, en 1938, que le poète Cocteau devient un auteur de théâtre acclamé par le public avec ses Parents terribles.
Entre 1940 et 1944, il est un des rares écrivains à être aussi violemment vilipendé par les collaborateurs (qui le traitent de gaulliste) que par les résistants (qui le traitent de collaborateur).
Les premiers visent ses moeurs et son oeuvre. Les seconds constatent ses compromissions avec l’occupant. C’est dans ces années que, les restrictions aidant, Cocteau renonce (temporairement) à l’opium, qu’il découvre un auteur qui passe plus de temps en prison qu’à l’air libre : Jean Genet ; que Jean Marais, avec qui il vit depuis 1938, se détache de lui…
Il est davantage inquiété par la presse collaborationniste que par l’occupant. Grâce aux bonnes relations qu’il entretient avec Gerhardt Heller (avec qui il déjeune chez Prunier, rue Duphot), Mme Abetz et Arno Breker – le « sculpteur du Reich », ex-étudiant artiste de Montparnasse qui a fait visiter Paris à Hitler le 23 juin 1940 – Cocteau et Marais sont protégés. Ils obtiennent ainsi un ausweis qui leur permet de circuler pendant le couvre-feu. Ils sont des fidèles de Maxim’s, Cocteau étant un proche de Vaudable, le patron.
Ne possédant alors pas de source stable de revenus, Cocteau continue à produire. Ses Parents terribles sont joués en 1941 et 1942 au théâtre du Gymnase, avant d’être interdits suite à une campagne collaborationniste. L’année 1943 est plus florissante pour lui : sa pièce Renaud et Armide est jouée à la Comédie-Française ; il met en scène, décore et habille Antigone à l’Opéra, supervise la musique du film L’Éternel retour, joue dans le film de Guitry La Malibran… Le décès de sa mère en janvier 1943 le prive de son meilleur confident, et il entame un journal intime.
Sur les conseils d’Emmanuel Berl, il s’est installé fin 1940 dans un petit entresol du 36 rue de Montpensier. C’est là qu’il rencontre le 15 février 1943 Jean Genet, voyou-écrivain spécialiste du vol de livres anciens (par exemple dans la librairie d’Adrienne Monnier rue de l’Odéon). Cocteau a découvert par un ami les premiers écrits de Genet, qui prend dans son esprit la place laissée libre par Radiguet. Cocteau le défendra de procès en procès et le visitera à la prison de la Santé.
Il vient aussi au secours de Max Jacob, qui décède à Drancy en mars 1944 au moment où Cocteau et d’autres viennent d’obtenir sa libération.
Marais joue Andromaque en mai au théâtre Edouard VIII. La pièce est rapidement interdite sous la pression de la presse collaborationniste.
Le 25 août 1944, Cocteau voit de Gaulle se rendre à l’Hôtel de Ville. C’est le coup de foudre. Le 26, il se trouve à une fenêtre de l’hôtel Crillon pour voir le général descendre des Champs-Elysées. Soudain, un échange de coups de feu éclate entre la foule et des hommes postés sur les toits. Une balle cisaille net la cigarette de Cocteau, qu’on a pris pour un tireur embusqué !
Un peu plus tard, il est invité par Hemingway à fêter avec lui la libération du Ritz.
Après la libération de Paris, Marais s’engage dans l’armée qui poursuit le combat contre les nazis.
Lorsqu’il est convoqué par le comité d’épuration du Comité national des écrivains, Cocteau est défendu entre autres par Eluard[[Qui lui conseille tout de même : Ne parlez jamais de passer l’éponge, c’est un crime.]] et Aragon. Il est innocenté car il ne rentre dans aucun des quatre cas condamnables : il ne s’est pas engagé politiquement dans la collaboration ; il n’a pas fait de voyage en Allemagne comme Drieu et d’autres ; il n’a pas reçu d’argent des Allemands ; il n’a pas diffusé de propagande nazie.
En 1947, pour s’éloigner de Paris qui lui pèse, il achète la Maison du Bailli à Milly-la-Forêt.
Petite bibliographie
Jean Cocteau. Claude Arnaud, éditions Gallimard. Cette copieuse biographie, dont on ne peut que souhaiter une prochaine édition en poche, est passionnante de bout en bout et en particulier sur la période de l’Occupation.