Le roman-feuilleton naît dans les années 1830-1840 de l’alliance ingénieuse entre des romanciers et des directeurs de journaux. L’explosion de la presse quotidienne vient à point fournir de nouveaux débouchés à la production d’écrivains insatisfaits par les moyens de diffusion que leur proposent des libraires-éditeurs chers, mal organisés, qui n’ont ni stratégie, ni flair, ni fonds. En 1839, Balzac constate que « Les plus belles productions littéraires de l’époque, celles de Victor Hugo et de George Sand, ne se vendent pas à plus de 1 200 exemplaires ! La France ne prend que cela, et cela ne suffit pas pour couvrir le prix de fabrication. Le prix de fabrication est trop cher, aussi la littérature s’est-elle réfugiée dans les journaux. »
Il y a bien les cabinets de lecture, bibliothèques payantes pour lire sur place ou à domicile, qui démocratisent un peu l’accès aux livres. Il en existe un millier en France en 1830. Mais ils ne profitent ni aux auteurs ni aux libraires, bien que nombre de ces cabinets soient ouverts par des libraires en arrière-boutique, pour attirer le chaland.
Les romans-feuilletons vont toucher une audience sans commune mesure avec celles des cabinets de lecture et ce, au profit des auteurs, bien sûr – et la perspective de meilleures rémunérations est une raison importante qui pousse ceux-ci vers le feuilleton – mais aussi des éditeurs – la prépublication est une bonne publicité, qu’elle soit favorable ou porte un parfum de scandale – et des patrons de presse – quel meilleur outil pour fidéliser le lecteur que le feuilleton qui abandonne, chaque soir jusqu’au lendemain, son héroïne au bord du précipice ou son héros sous les sabots d’un cheval ! Et l’on sait bien que la signature quotidienne d’un Dumas ou d’un Sue au « rez-de-chaussée » de son journal (bas de la première page) signifie quelques milliers ou dizaines de milliers d’abonnés supplémentaires.
Entre 1836 et les années 1850, on pourrait distinguer trois vagues d’auteurs :
– les inventeurs (Balzac, Dumas, Sand, Soulié, Féval, Sue), qui s’orientent vers le feuilleton pour trouver un nouveau débouché à leur production ;
– ceux qui sont « nés dedans » et font leurs premiers pas en littérature grâce au feuilleton (Ponson du Terrail, Gaboriau…) ;
– et ceux qui, de leur propre initiative ou poussés par les patrons de presse, publient parfois en feuilleton parfois directement en librairie. Ceux-là (Zola, les Goncourt, Vallès…) n’écrivent pas, comme les précédents, au fur et à mesure de la publication. Leur roman n’est pas le fruit d’un travail qui s’invente au jour le jour, mais d’un long labeur, préparé minutieusement, mis et remis sur l’ouvrage.
1) Paul Féval, le père du Bossu – qui paraît en 1857 dans Le Siècle – demeure rue de la Cerisaie vers 1838.
2) Il habite 69 boulevard Beaumarchais en 1860 (en 1863, son adresse est le 80 rue Saint-Maur).
3) Le Musée Victor Hugo, 6 place des Vosges (tél. 01 42 72 10 16), est la demeure de la famille Hugo entre 1832 et 1848. C’est un port d’attache idéal pour l’écrivain, qui s’aventure dans les faubourgs un peu plus à l’est pour rassembler les matériaux de ses futurs Misérables. En 1862, ceux-ci ne paraissent pas en feuilleton car Hugo, exilé politique à Guernesey, le refuse tant que dure la censure impériale sur la presse. En revanche, il demandera à son éditeur que le livre soit édité en petit format et à bon marché. Plus tard, L’Archipel de la Manche et Les Travailleurs de la mer seront publiés en feuilletons. De façon générale, il semble qu’Hugo était plutôt contre le style faussement populaire du roman-feuilleton, auquel il préférait un style plus exigeant, tel celui des Misérables.
4) En 1828, Théophile Gautier emménage 8 place des Vosges avec ses parents. Il n’a pas vingt ans et est membre du cénacle romantique qui se rassemble rue Notre-Dame-des-Champs chez Hugo. La bataille d’Hernani est proche (février 1830). Il travaille à son premier grand roman, Mademoiselle de Maupin (1835), et commence à écrire pour des journaux.
5) Quelques semaines après le début, en novembre 1866, de la publication du Petit Chose dans Le Petit moniteur universel – c’est son troisième ou quatrième feuilleton – Alphonse Daudet s’installe pour neuf ans dans un appartement de l’hôtel Lamoignon, 24 rue Pavée.
6) Le bel Hôtel de Rohan, 87 rue Vieille-du-Temple, est la demeure du Cardinal de Rohan que l’on retrouve dans Le Collier de la Reine d’Alexandre Dumas (publié en 1849 dans La Presse). L’hôtel fait maintenant partie des Archives nationales.
7) Dans Les Mystères de Paris, Sue situe 17 rue du Temple la demeure occasionnelle de Rodolphe, gardée par les concierges Pipelet dont le nom est passé à la postérité (à cette époque, la rue du Temple ne descend que jusqu’à la hauteur de la rue Michel-le-Comte).
8) Le cabaret de l’Épée-de-Bois décrit dans Le Bossu se trouvait 54 rue Quincampoix.
9) L’île de la Cité a bien changé depuis Les Mystères de Paris (publiés en 1842 dans Le Journal des débats, dont le premier feuilleton publié a été Les Mémoires du diable, de Frédéric Soulié). En se promenant rue des Chantres, rue des Ursins ou rue Chanoinesse, on peut cependant avoir une idée du décor dans lequel évoluaient les personnages d’Eugène Sue. Le « tapis franc »[[«~En argot, un tapis est un cabaret, et le tapissier l’aubergiste. De l’ancien français tapi, refuge. Un tapis franc était, pour les malfaiteurs, un cabaret sûr, de rendez-vous ou de recel~» (Mémoires de Canler, ancien chef du service de Sûreté, 1797-1865. Editions Mercure de France, collection Le Temps retrouvé, 815 pages, 2006).]] du Lapin Blanc, dans lequel débute l’histoire, se trouvait jusqu’en 1860 dans la rue aux Fèves, parallèle à l’actuelle rue de la Cité, aux environs de la rue de Lutèce construite en 1865.
10) Jacques Vingtras est sans doute le héros de roman-feuilleton le plus révolutionnaire : il est républicain, auvergnat, et débarque à Paris vers 1850. Il finit, comme son créateur Jules Vallès, aux côtés des insurgés de la Commune en 1871. L’Enfant, Le Bachelier et L’Insurgé sont publiés dans les années 1870-1880. Vallès voulait accentuer le côté témoignage historique, mais le directeur du Siècle – qui publie L’Enfant – craint les réactions de ses lecteurs conservateurs et prie l’écrivain d’accentuer plutôt l’aspect autobiographique (il finira par refuser Le Bachelier).
Dans Le Bachelier, Vingtras échoue de chambre en chambre, entre autres à l’hôtel Riffault 6 rue Dauphine, à l’Hôtel Lisbonne 4 rue de Vaugirard, où il retrouve des compatriotes de Nantes, et 13 rue Saint-Jacques. C’est, après le coup d’Etat du 2 décembre 1851, le début du Second Empire. Vingtras sera un opposant au régime, mais en attendant, il faut bien vivre, et ses démarches le mèneront entre autres rue Suger, chez un « placeur » qui recrute des professeurs pour des écoles « libres ».
11) Fin 1852, Vallès occupe une chambre de l’hôtel Jean-Jacques Rousseau dans la rue des Cordiers qui reliait alors la rue Saint-Jacques et l’actuelle rue Victor Cousin. C’est l’hôtel qui a effectivement vu passer Jean-Jacques Rousseau… et Raphaël de Valentin dans La Peau de chagrin. A vingt ans, Vallès se fixe ainsi à Paris pour y étudier le droit, et surtout rejoindre des groupes républicains et faire du journalisme.
12) Il décèdera en 1885 77 boulevard Saint-Michel.
13) Entre 1828 et 1837, l’adresse principale de Balzac est le 1 rue Cassini. C’est ici qu’il donne naissance au premier roman-feuilleton de l’histoire, avec La Vieille fille en 1836. Comme il ne fait rien comme les autres, il invente aussi le roman-feuilleton à puzzle ou à trou, en recollant après-coup des morceaux de récits dont la publication est parfois espacée de plusieurs années. Par exemple, une partie de Béatrix est publiée dans Le Siècle en 1839 et une autre dans Le Messager début 1845 (l’histoire lui a été inspirée par George Sand, que l’on reconnaît dans le personnage de Mlle des Touches). Autre exemple : le début de Splendeurs et misères des courtisanes paraît pendant l’été 1843 dans Le Parisien ; L’Époque en publie d’autres épisodes en 1846 ; les derniers paraissent dans La Presse au printemps suivant.