J’ai écrit ces notes [Choses vues], très consciencieuses du reste, dans les premiers mois de 1848. […] J’observais cela dans un étrange état d’esprit, comprenant peu cette révolution et craignant qu’elle ne tuât la liberté. Plus tard, la révolution s’est faite en moi-même ; les hommes ont cessé de me masquer les principes.
Choses vues.
[…] je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère. […] Il y a dans Paris, dans ces faubourgs de Paris que le vent de l’émeute soulevait naguère si aisément, il y a des rues, des maisons, des cloaques, où des familles, des familles entières, vivent pêle-mêle, hommes, femmes, jeunes filles, enfants, n’ayant pour lits, n’ayant pour couvertures, j’ai presque dit pour vêtements, que des monceaux infects de chiffons en fermentation, ramassés dans la fange du coin des bornes, espèce de fumier des villes, où des créatures humaines s’enfouissent toutes vivantes pour échapper au froid de l’hiver.
Victor Hugo, discours sur la misère à l’Assemblée, 9 juillet 1849.
Après la mort de Léopoldine en 1843, Hugo cesse de publier pendant plusieurs années. Il s’attelle aux Misérables en 1845 et en interrompt l’écriture lors de la révolution de février 1848. Il rédige des notes et impressions, qui deviendront Choses vues.
Il publie quelques discours politiques sous la IIe République, quelques pamphlets au début de son exil (Napoléon le petit en 1852, Les Châtiments en 1853), puis Les Contemplations en 1856. Son Histoire d’un crime, écrite après le coup d’État du 2 décembre 1851, n’est publiée qu’en 1877, au lendemain de la crise du 16 mai – Mac Mahon, président de la République, ayant alors contraint le président du Conseil à démissionner et demandé la dissolution de l’Assemblée.
Refusant l’amnistie de 1859, Hugo se replonge dans Les Misérables en 1860 et achève le manuscrit pendant l’été 1861.
C’est entre 1848 et 1850 que se joue son revirement politique. L’ex-royaliste est en juin 1848 du côté du pouvoir républicain et de la répression, essayant plusieurs fois mais sans succès d’obtenir la reddition des insurgés et d’éviter des bains de sang : par exemple à la barricade de la rue de Turenne et à celle de la rue Vieille-du-Temple. On le voit aussi à celle qui est érigée entre le 1 et 2 rue du faubourg du Temple et à celle de la barrière des Trois Couronnes, située au niveau du 103 rue Jean-Pierre Timbaud.
Il confie dans Les Misérables (5e partie, livre 1er, chapitre 1) : C’est là un de ces moments rares où, en faisant ce qu’on doit faire, on sent quelque chose qui déconcerte et qui conseillerait presque d’aller plus loin ; on persiste ; il le faut ; mais la conscience satisfaite est triste, et l’accomplissement du devoir se complique d’un serrement de coeur.
Au début de la cinquième partie du roman, il rend hommage aux insurgés de juin 1848 en décrivant minutieusement les deux grandes barricades du faubourg Saint-Antoine et du faubourg du Temple.
Hugo et le journal de ses fils, L’Événement, soutiennent le président Louis-Napoléon Bonaparte jusqu’à la fin 1849. Puis c’est le revirement à gauche. Hugo est contre l’expédition française en soutien au Pape, et son discours contre la misère à l’Assemblée le 9 juillet le discrédite définitivement aux yeux du parti de l’Ordre. Revirement ? En 1834, il écrivait déjà Après juillet 1830, il nous faut la chose république et le mot monarchie. Hugo ne réalise-t-il pas en 1848-1849 que la République est le mot et la chose qui conviennent le mieux à ses aspirations de voir les Français vivre libres et en paix, sans opposition de classes ?
L’Événement est interdit en septembre 1851, aussitôt remplacé par L’Avènement du peuple, rapidement condamné. Charles est arrêté en juillet, François-Victor en novembre.
Lors du coup d’État de décembre 1851, Hugo est prêt à se faire tuer pour défendre la République, alors que le peuple parisien n’est pas si fâché que cela de voir les leaders de la répression de juin 1848 enfermés à leur tour dans les geôles souterraines des Tuileries.
Comme pour Sue exilé volontaire à Annecy dès 1852, l’adhésion de Hugo à la République se renforce encore lors de son séjour anglo-normand. La République, de régime nouveau-né, est redevenue un idéal étouffé par l’Empire.
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Depuis son exil anglo-normand, Hugo se rend l’été chez son fils Charles, 4 place des Barricades à Bruxelles. Une aile de la maison lui est réservée. Il lui arrive aussi de loger ailleurs dans la capitale belge : au 16 puis au 27 de la Grand-place début 1852, 3 impasse du Parc, rue Royale, fin juillet 1862.
Il reçoit parfois des visiteurs place des Barricades, tel Verlaine pendant l’été 1867.
La guerre franco-prussienne met fin à son rêve des « États-Unis d’Europe ».
Alors que se précise la déchéance de son ennemi personnel « Napoléon le petit », il quitte Guernesey et fait étape chez Charles, où il s’installe mi-août 1870. Il emménage à Paris le 5 septembre, chez son ami Paul Meurice, 5 avenue Frochot.
Juliette Drouet ainsi que Charles Hugo et sa famille s’installent début septembre dans un hôtel, 8 rue de Navarin, puis au pavillon de Rohan, 172 ou 174 rue de Rivoli.
Hugo est dès lors le plus célèbre des parisiens qui endurent le siège de la capitale par les Prussiens. Charles s’engage dans la Garde nationale.
Élu député en février 1871, il s’installe à Bordeaux mi-février, 37 rue de la Course (et Juliette 13, rue Saint-Maur). Il démissionne bientôt de cette assemblée en majorité monarchiste, mais ne quitte Bordeaux que le 17 mars, après le décès brutal de Charles, enterré le 18 mars à Paris, au Père Lachaise. Hugo reste quatre jours à l’Hôtel du Louvre, puis repart à Bruxelles le 21 mars, afin de régler la succession de Charles.
Il vit donc la Commune depuis l’étranger, mais en participant actif. Il n’était pas dans les révolutions de 1830, 1832, 1848. Il a été dans la résistance au 2 décembre 1851, et il est dans l’élan révolutionnaire de la Commune.
À la fin de la Semaine sanglante, il invite les insurgés survivants à venir trouver asile chez lui, place des Barricades. L’article qu’il publie à ce sujet dans le journal belge L’Indépendance lui vaut une tentative de lynchage par une foule téléguidée venue le chercher à son domicile, et une expulsion du pays le 30 mai.
Direction le Luxembourg, avant un retour presque définitif à Paris en septembre 1871 pour défendre Rochefort, condamné à la déportation.
Hugo emménage 66 rue de la Rochefoucauld en octobre 1871, puis reprend le chemin de Guernesey entre août 1872 et juillet 1873, après avoir été battu aux élections législatives.
L’Année terrible, recueil de poèmes sur le siège et la Commune, est publiée en 1872.
Dans les années 1870, bien que l’imagerie officielle en ait fait le poète officiel de la IIIe République, Hugo est longtemps repoussé autant par les rangs de la droite que par des ex-Communards, excepté Vallès.
Il est sénateur en 1876.
Son combat contre la peine de mort est à la base de ses autres combats : pour l’amnistie des Communards, pour l’instruction publique, pour les droits de la femme.
Sources :
Choses vues. Victor Hugo.
MILLOT (Hélène) et SAMINADAYAR-PERRIN (Corinne). 1848, une révolution du discours. Saint-Étienne, Éditions des Cahiers intempestifs, 2001.
Verlaine. Henri Troyat. Livre de poche n°13962.