10 rue Chanoinesse
Pour les uns
1 rue des Chantres
Pour les autres
Par Bernard Vassor
En 1858, cet alexandrin était inscrit sur la muraille du 1 rue des Chantres, la maison ayant été refaite en 1849 :
« Abélard, Héloïse habitèrent ces lieux. »
On lisait de plus à l’intérieur :
Abélard, Héloise, 1118
La rue Chanoinesse était la principale artère du cloître Notre Dame,
elle date du temps des carolingiens. Les propriétés faisant partie de l’ancien cloître Notre Dame étaient exemptées d’impôt en vertu d’un édit de Charlemagne.
L’historien de Paris, l’abbé Lebeuf, rapporte que Saint Bernard ayant prêché en pure perte, des écoliers de l’Université vinrent gémir, prier, implorer le ciel à la chapelle Saint-Aignan du cloître afin d’obtenir les grâces du ciel pour ces pêcheurs endurcis.
Au carrefour des rue Chanoinesses et de la Colombe était une des quatre portes du cloître qui portait le nom de porte Marmouset, nom de la rue qui prolongeait la rue Chanoinesse au-delà du cloître.
Cette rue fut aussi le théâtre d’un fait-divers qui alimenta longtemps l’imagination des parisiens : en 1387, dans la rue Marmouset, deux commerçants, l’un barbier l’autre pâtissier réputé pour la succulence de ses pâtés avaient fondé une parfaite association, le barbier tuait par ci par là un client de passage, le pâtissier le hachait menu et avec une recette dont il avait le secret, en faisait d’excellents plats. Hélas, une des victimes, un Allemand, avait un chien qui ne voyant pas revenir son maître, se mit à hurler à la mort pendant plusieurs jours, ce qui attira l’attention du guet et provoqua la perte de nos honorables commerçants…
Au numéro 14, Bichat est mort, au 18, emplacement d’une tour du XV°siècle, dite « Tour Dagobert » démolie en 1908. Lacordaire logeait au 17.
Au numéro 26, on a trouvé au XVIII° siècle des débris de pierres tombales dont on a dallé le chemin d’entrée.
Il y a 888 ans, dans cette maison, le chanoine Fulbert demanda à Pierre Abailard ou Abélard, de devenir le précepteur de sa nièce.
Celui-ci était alors à l’apogée de sa gloire. Théologien philosophe, il avait ouvert une école où il professait avec une habileté éclatante. Les vingt-deux ans qui séparaient le maître et l’élève ne firent nullement obstacle à l’irréparable. Héloïse devint mère et épousa Pierre Abélard secrètement.
Elle mit au monde un garçon qu’elle prénomma Pierre-Astrolabe.
Abélard fut alors chassé du cloître Notre Dame.
Replié sur la Montagne Sainte-Geneviève, il fut suivi par 3000 disciples. Il nomma 50 évêques, vingt cardinaux et un pape : Innocent III.
Cela n’empêcha pas Fulbert en soudoyant des misérables, de faire subir au docteur une mutilation, que François Villon a appelé le supplice d’Abélard dans sa Ballade des dames du temps Jadis.
Abélard et Héloïse prononcèrent leurs vux définitifs, Héloïse prit le voile, « Abélard fut chatré et puis moine« .
Obligé de s’enfuir, Abélard fit construire non loin de Nogent-sur-Marne un petit oratoire qu’il dédia à la Trinité et qu’il appela « Le Paraclet » (consolateur).
Considéré comme le principal fondateur de la philosophie au moyen âge, il se fit de redoutables ennemis, le pire étant Saint Bernard, l’abbé de Clairvaux qui, trouvant que la peine qui lui avait été infligée n’était pas suffisante, demanda une nouvelle condamnation.
Les amants maudits moururent tous les deux à l’âge de soixante-trois ans, mais à vingt deux ans d’intervalle.
Héloïse fit secrètement transporter le corps de son mari à l’oratoire du Paraclet qu’il avait fondé. La « très sage Héloïse » fut inhumée dans le même cercueil.
L’affaire n’en resta pas là. Une abbesse, jugeant en 1630 la promiscuité scandaleuse, fit séparer les ossements dans deux caveaux éloignés l’un de l’autre. En 1701, la très sentimentale abbesse Marie Roye de La Rochefoucauld, fit rapprocher les tombeaux. En 1792, des révolutionnaires sentimentaux remirent les squelettes dans le même cercueil, mais séparés par une cloison de plomb !
En 1817, une sépulture définitive (pour le moment) fut trouvée au cimetière du Père Lachaise à la division numéro 7…
L’inventaire de la conservation du cimetière précise qu’il restait d’Abélard des portions de fémur et de tibia, des côtes, des vertèbres, et une partie du crâne. Héloïse quand à elle avait conservé toute sa tête, des ossements des cuisses, des bras et des jambes.
Sources :
Guillaume Ganne : Paris Pittoresque Paris 1960
Nouveau Larousse illustré sous la direction de Claude Augé Paris 1901
L’abbé Lebeuf, Histoire du Diocèse de la Ville de Paris
Nomenclature des rues de Paris
Marquis de Rochegude, dictionnaire des rues de Paris