1) Le Peuple constituant, 154 rue Montmartre, est lancé par Lamennais le 27 février 1848 et paraît jusqu’en juillet suivant.
2) La Presse d’Émile de Girardin, 131 rue Montmartre, était au début assez favorable à la monarchie de Juillet. Tout en restant du côté de la République après 1848, elle garde une distance critique face au nouveau pouvoir issu des rangs des deux journaux concurrents, Le National et La Réforme. Les Girardin habitent jusqu’à 1855 l’hôtel de Choiseul-Gouffier, situé entre la rue Quentin-Bauchart et la rue Lincoln, mais Émile loue à partir de mars 1848 un petit appartement dans l’immeuble du n°131, pour pouvoir être sur place lorsque l’actualité est chargée et que des manifestations ou des combats gênent la circulation dans Paris. Suspendue par Cavaignac après juin 1848 (Girardin est même emprisonné brièvement à la Conciergerie parce qu’il a protesté contre le pouvoir de l’armée), La Presse soutiendra en retour, à l’automne suivant, la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte.
3) Le journal La Patrie, bientôt bonapartiste, a ses bureaux 6 rue Saint-Joseph.
4) La révolution de février ruine les projets dramatiques de Théophile Gautier. Il se réfugie au 5e étage du 14 rue Rougemont pour composer les premiers poèmes de Émaux et camées (dont l’ouverture précise : « Sans prendre garde à l’ouragan/Qui fouettait mes vitres fermées/Moi, j’ai fait Émaux et Camées »). Du milieu des années 1830 au milieu des années 1850, il collabore à La Presse de Girardin.
5) La Liberté, 8 rue Bergère, paraît entre mars 1848 et juin 1850. Elle est modérément de gauche, puis se rallie à Louis-Napoléon Bonaparte.
6) La salle du Conservatoire, 10 rue Bergère, abrite en mars 1848 le club de Blanqui, la Société républicaine centrale. Dans cette période d’euphorie qui suit la révolution de février, un nombre incroyable de clubs révolutionnaires voit le jour, aux noms souvent très exotiques. Des bourgeois curieux participent ainsi au club de Blanqui, dont Charles Baudelaire. « Le club de Blanqui avait la faveur des curieux de cette trempe. Les loges et galeries où, les années précédentes, on venait entendre avec recueillement les chefs d’œuvre de l’art musical, étaient chaque soir envahies par un public singulièrement mélangé et tapageur. On se reconnaissait de loin en loin, on se saluait d’un geste rapide, perdu qu’on était dans cette foule en blouse et en veste que l’on croyait armée » (Daniel Stern, Histoire de la révolution de 1848).
Février 1848 fait de Baudelaire un journaliste politique. Il est socialiste utopique, peu enthousiasmé par la démocratie et la République. Il écrit en particulier pour Le Salut public (deux numéros seulement, le 27 février et début mars, imprimés par Bautruche, 90 rue de la Harpe), qu’il crée avec Champfleury et Toubin. Après les journées de juin, il cesse d’être « révolutionnaire », attaquant la rhétorique romantique et en particulier George Sand, dont le sentimentalisme et les « paroles dorées » sont à ses yeux responsables de « l’insurrection gratuite ».
7) Entre deux séjours à Marly-le-Roi, Alexandre Dumas habite 3 cité Trévise début 1848. L’année précédente a vu deux de ses rêves se réaliser : il a fait construire le Théâtre historique boulevard du Temple et le château de Monte-Cristo à Marly (la pendaison de crémaillère a eu lieu le 27 juillet 1847).
Il est dans la rue lors des journées de février. Las du régime de son ancien patron Louis-Philippe, il est un républicain convaincu depuis les années 1830, mais il est aussi lié par amitié au duc d’Orléans. En février 1848, il appuierait volontiers une régence de la duchesse d’Orléans, et se rallie finalement à la République. Il tente sans succès de se faire élire député en avril et en juin. Les journées de février puis celles de juin vont ruiner ses affaires. Les recettes du Théâtre historique sont en 1848 la moitié de ce qu’elles étaient en 1847. Le château de Monte-Cristo, gouffre financier, est vendu en partie à peine achevé. Dumas est déclaré en état de faillite en janvier 1852 (il s’est alors exilé à Bruxelles).
8) Dans L’Éducation sentimentale, les Arnoux s’installent 37 rue Paradis après la rue de Choiseul. Ils ont cédé L’Art industriel à Hussonnet pour se lancer dans la fabrique de faïence, censée être plus rentable.
9) George Sand est née 46 rue Meslay le 1er juillet 1804 (même si une erreur de conversion du calendrier révolutionnaire – elle est née le 12 messidor an XII – lui fait croire très longtemps que sa date de naissance est le 5 juillet). Éduquée au socialisme dans les années 1830 par son amant Michel de Bourges, Lamennais, Pierre Leroux, elle distille peu à peu ses idées politiques dans des articles et dans ses romans, en particulier Le Meunier d’Angibault et Les Maîtres sonneurs. Elle considère que « l’art n’est pas une étude de la vérité positive ; c’est une recherche de la vérité idéale » et fait rimer socialisme avec romantisme et idéalisme. Il n’est pas rare chez elle que les riches épousent les pauvres et qu’ils fondent ensemble une communauté… socialiste.
10) Tocqueville explique dans ses Souvenirs qu’il se trouve le matin du 25 juin avec les soldats à l’emplacement actuel de la place de la République. Un canon tire dans la rue Samson (Léon-Jouhaux). Des artilleurs tombent sous les balles des insurgés. « C’était une chose étrange […] que de voir changer soudainement les visages et le feu du regard s’y éteindre tout à coup dans la terreur de la mort. […] Je remarquai que, de notre côté, les moins animés étaient les soldats de ligne. […] Les plus vifs étaient, sans contredit, ces mêmes gardes mobiles dont nous nous étions tant défiés, et je dis encore, malgré l’événement, avec tant de raison, car il tint à fort peu qu’ils ne se décidassent contre nous au lieu de tourner de notre côté. »
11) Lorsqu’il n’est pas dans sa maison de Croisset (Seine maritime), Flaubert vit 42 boulevard du Temple entre 1856 et 1869 (plaque). Il écrit L’Éducation sentimentale entre 1864 et 1869. Il est donc contemporain et voisin des travaux d’aménagement de la place de la République à quelques mètres de là. À la ligne des immeubles qui s’incurve vers le nord à hauteur du n°42, on devine l’ancien alignement du boulevard du Temple qui se prolongeait à l’intérieur de la place de la République et rejoignait le boulevard Saint-Martin au niveau de la caserne actuelle de la garde républicaine.
12) Nous nous retrouvons à nouveau le 25 juin 1848. Les soldats qui sont avec Tocqueville ne peuvent progresser le matin sur le boulevard du Temple vers la Bastille, car les boulevards sont bloqués à tous endroits par des barricades. Un peu plus tard, Hugo lui aussi accompagne les soldats : « Les insurgés tiraient, sur toute la longueur du boulevard Beaumarchais, du haut des maisons neuves. […] Ils avaient mis aux fenêtres des mannequins, bottes de pailles revêtues de blouses et coiffées de casquettes. Je voyais distinctement un homme qui s’était retranché derrière une petite barricade de briques bâtie à l’angle du balcon du quatrième de la maison qui fait face à la rue du Pont-aux-Choux. Cet homme visait longtemps et tuait beaucoup de monde. Il était trois heures. Les soldats et les mobiles couronnaient les toits du boulevard du Temple et répondaient au feu. […] Je crus devoir tenter un effort pour faire cesser, s’il était possible, l’effusion de sang ; et je m’avançais jusqu’à l’angle de la rue d’Angoulême [rue Jean-Pierre Timbaud]. Comme j’allais dépasser la petite tourelle qui est tout près, une fusillade m’assaillit » (Choses vues).
13) Karl Marx revient à Paris après la révolution de février 1848 et s’installe en mars 10 rue Commines, alors rue Neuve de Ménilmontant. Il vient de Belgique, sa terre d’exil depuis qu’en 1845 il a été chassé de Paris pour activisme révolutionnaire. Il a écrit à Bruxelles le Manifeste du parti communiste. Il s’était installé 38 rue Vaneau fin 1843, arrivant de Cologne où son journal, le Rheinische Zeitung, avait été saisi par les autorités.
Il retourne à Cologne après son séjour parisien de début 1848, et y relance le Rheinische Zeitung. Chassé encore une fois, il atterrit à Paris, puis en 1849 à Londres où il passera dès lors l’essentiel de sa vie.
14) « Le dimanche 26 juin 1848 [sans doute plutôt le 25 juin], le combat des quatre jours, ce colossal combat, si formidable et si héroïque des deux côtés, durait encore, mais l’insurrection était vaincue presque partout et circonscrite dans le faubourg Saint-Antoine ; quatre hommes, qui avaient défendu parmi les plus intrépides les barricades de la rue du Pont-aux-Choux, de la rue Saint-Claude et de la rue Saint-Louis au Marais, s’échappèrent après les barricades prises et trouvèrent asile dans une maison de la rue Sainte-Anastase, au n°12. On les cacha dans un grenier. Les gardes nationaux et les gardes mobiles les cherchaient pour les fusiller. J’en fus informé. J’étais un des soixante représentants envoyés par l’Assemblée constituante au milieu de la bataille avec mission de précéder partout les colonnes d’attaque, de porter, fût-ce au péril de leur vie, des paroles de paix aux barricades, d’empêcher l’effusion du sang et d’arrêter la guerre civile. J’allai rue Sainte-Anastase, et je sauvai les quatre hommes. » (Victor Hugo, Histoire d’un crime). Le poète connaît bien le quartier, puisqu’il a installé en 1836 Juliette Drouet 14 rue Saint-Anastase, puis au rez-de-chaussée du n°12 en 1845.
15) Au 5 rue de Sévigné, Raspail anime un dispensaire pour les pauvres entre 1840 et 1848. Une grande plaque sur la façade en garde la mémoire.
16) En 1848, Hugo habite depuis 1832 6 place des Vosges. Membre de la Chambre des Pairs depuis 1845, il est favorable à la monarchie constitutionnelle et se prononce en février 1848 pour la régence de la duchesse d’Orléans. Lorsque le gouvernement provisoire se constitue, Lamartine lui propose d’être ministre de l’Instruction publique, et il refuse (mais son fils Charles entre au cabinet de Lamartine). En juin, il est donc sur le terrain aux côtés du pouvoir, faisant partie comme Tocqueville d’un groupe de soixante députés chargés de sillonner les rues pour transmettre les directives de la Chambre et remonter le moral de la garde nationale. Suite à l’invasion (réelle ou supposée ?) de son domicile par les insurgés le 24 juin, il déménage promptement vers le 5 rue de l’Isly, où les Hugo demeurent jusqu’à octobre 1848 avant d’emménager 37 rue de la Tour-d’Auvergne (dans le bâtiment sur cour), où ils vivront jusqu’en 1851.
17) Le 11 place des Vosges est une des adresses parisiennes d’Alexis de Tocqueville. La révolution de 1848 lui fait écrire dans ses Souvenirs : « On eût dit que le gouvernement républicain était devenu tout à coup, non pas seulement le meilleur, mais le seul qu’on put imaginer pour la France ». Dans la pensée de Tocqueville, la république est le meilleur rempart contre le socialisme.