Le journaliste, critique d’art, romancier et dramaturge Octave Mirbeau (1848-1917), auteur de L’Abbé Jules (1888), du Journal d’une femme de chambre (1900), de Les affaires sont les affaires (1903) et de La 628-E8 (1907), n’a jamais eu d’attaches vraiment durables et de demeures permanentes : sans rien renier de ses origines percheronnes, il a toujours refusé l’enracinement barrésien. Grand voyageur à l’insatiable curiosité, puis automobiliste passionné, il a sillonné l’Europe ; soucieux de fuir les miasmes morbides des villes, de se ressourcer au sein de la nature rédemptrice et de cultiver son jardin au sens littéral du terme (il avait une passion pour les fleurs), il s’est souvent mis en quête de demeures rurales ; mais, pour des raisons professionnelles aussi bien que pour pouvoir assumer avec efficacité ses grands combats politiques et esthétiques, il devait conserver ses attaches parisiennes et ne pas trop s’éloigner des grands quotidiens, des maisons d’édition, des théâtres et des galeries de peintures. D’où de multiples déménagements, qui traduisent aussi une instabilité foncière, sans doute liée à ses déchirements intérieurs et à des exigences contradictoires.
Petit-fils de deux notaires normands, il est né le 16 février 1848 dans la grande maison de notable de son grand-père maternel à Trévières, village du Bessin (Calvados). Cette étude notariale est située dans la rue qui porte aujourd’hui son nom et qui est adornée d’une plaque offerte par son fidèle admirateur Sacha Guitry. Mais il n’y a pratiquement pas vécu et n’en a gardé aucun souvenir, car, dès 1849, il a regagné, avec ses parents, la maison de sa famille paternelle, à Rémalard, dans le Perche ornais. C’est dans la demeure bourgeoise du Chêne Vert, construite en 1857 et située 12 rue du Prieuré, à quelques encablures de l’église paroissiale, et entourée d’un vaste jardin dont le chêne éponyme, déraciné en 2000 par une tempête, était l’ornement, que le jeune Octave va passer toute son enfance, comme le rappelle une plaque installée à l’initiative des nouveaux propriétaires, M. et Mme Lansac. C’est là qu’il va s’imprégner de paysages qu’il ne cessera plus d’évoquer dans ses contes et ses romans, où réapparaissent nombre de lieux-dits percherons (Vauperdu, Culoiseau, Freulemont, La Fontaine au Grand-Pierre, etc.).
C’est là aussi qu’il fera l’expérience de l’apartheid social régnant dans les bourgs de province et qu’il découvrira la mesquinerie, le conformisme et l’âpreté au gain de l’impitoyable petite bourgeoisie, qu’il ne cessera plus de débarbouiller au vitriol. C’est là enfin qu’il sera tôt sensibilisé à la misère et aux souffrances des petits paysans, des ouvriers agricoles et des chemineaux, victimes d’une société darwinienne où les pauvres sont écrasés sous le talon de fer des riches et des puissants.
Après ses études au collège des jésuites de Vannes, où il situe son émouvant roman Sébastien Roch (1890), puis à Rennes et à Caen, où il passe son bac, le jeune écrivain ambitieux “monte” à Paris en 1872 pour y entamer une carrière de journaliste, sous la houlette de l’ancien député de Mortagne, Dugué de la Fauconnerie. Quoique révolté et fils des Lumières, il commence par vendre sa plume à la cause bonapartiste de son nouveau patron, qui lui met le pied à l’étrier. C’est seulement au bout de douze années de prostitution journalistico-politique, et après une liaison dévastatrice de trois ans avec la « goule » Judith Vimmer et un séjour de sept mois à Audierne (Finistère), en 1884, qu’il entame enfin sa rédemption : il décide tardivement de mettre dorénavant sa plume au service de ses valeurs éthiques et esthétiques et il commence sa carrière littéraire sous son propre nom. Dès lors, jusqu’à la fin de sa vie, moyennant un nombre impressionnant d’emménagements, il va faire alterner ses séjours à la campagne et ses installations parisiennes.
À Paris, il a habité successivement : rue de Laval, dans les années 1870 ; rue Lincoln, près des Champs-Élysées, en 1885 ; square du Ranelagh, d’où le bruit le fait fuir au plus vite, en 1888 ; à Levallois, dans un immeuble appartenant à sa femme, en 1889 ; puis, en 1896, dans un pied-au-ciel sis au 42 avenue de l’Alma, où il organise des réceptions intimes le samedi ; dans un bel immeuble bourgeois du 3 boulevard Delessert, proche du Trocadero, à partir de 1897 ; dans un appartement de très grand standing, qu’il loue fort cher à la baronne von Zuylen, au 64 – devenu 84 – de l’avenue du Bois, de novembre 1901 à 1909 ; et enfin, pendant la guerre, pour y mourir, au 1 de la rue Beaujon, à proximité de son médecin traitant, le professeur Albert Robin.
À la campagne, plus ou moins proche de Paris, il s’est installé successivement – et provisoirement : pendant six mois en 1885, dans sa « chaumière » au Rouvray, sur la commune de Saint-Sulpice-en-Rille, près de Laigle (Orne), où il rédige ses Lettres de ma chaumière ; pendant la seconde moitié de 1886, dans une maison louée au Pélavé, à Noirmoutier (Vendée), où il achève Le Calvaire et reçoit la visite de Claude Monet ; en 1887-1888, à Kérisper, sur la commune de Pluneret, près d’Auray (Morbihan), dans un manoir avec tourelles et pont-levis, d’où il a une vue superbe sur le loch et sur le golfe du Morbihan et où il rédige L’Abbé Jules ; puis à Menton, Casa Carola, proche de la frontière italienne, en 1888-1889 ; de 1889 à l’hiver 1893, aux Damps, près de Pont-de-l’Arche (Eure), dans une grande maison de briques entourée d’un vaste jardin peint à quatre reprises par Camille Pissarro ; puis à Carrières-sous-Poissy (Yvelines), où il horticulte avec ferveur, dans une maison aujourd’hui détruite et sur l’emplacement de laquelle s’élève, depuis 1993, l’actuel hôtel de ville ; à partir du printemps 1904, dans un château du XVIIIe siècle, entouré d’un très beau parc, acheté par sa femme, et aujourd’hui méconnaissable, dans le village de Cormeilles-en-Vexin, dont il évoquera les habitants sous les couleurs les plus noires dans son dernier roman, Dingo (1913) ; et enfin dans une maison qu’il a fait construire à Triel-sur-Seine, dans les Yvelines, à partir de la fin 1909. Après sa mort, sa veuve en fera don à la Société des Gens de Lettres pour servir à la convalescence d’écrivains peu fortunés.
Dans aucune des demeures d’Octave Mirbeau n’a pu être installé un musée qui perpétue son souvenir et témoigne de son cadre de vie. Mais plusieurs des communes où il a vécu – Trévières, Rémalard, Les Damps, Carrières-sous-Poissy et Triel-sur-Seine – lui rendent hommage à leur manière en apportant leur soutien à la Société Octave Mirbeau.
A lire
Le gros volume des Combats littéraires d’Octave Mirbeau (704 pages), attendu depuis une dizaine d’années, est enfin sorti aux Editions de l’Age d’Homme. Il est possible de le commander à la Société Octave Mirbeau au prix préférentiel de 43 euros, au lieu de 50.
Pierre MICHEL (michel.mirbeau@free.fr)
Société Octave Mirbeau
10 bis rue André Gautier
49000 – ANGERS