«J’ai songé à ce que je pouvais imaginer de plus horrible et je l’ai mis sur le papier.»
Faulkner à propos de Sanctuaire.
Un éditeur ou un traducteur peut changer le sens d’une oeuvre lorsqu’il s’agit de publier un auteur étranger.
C’est un peu ce qui est arrivé en France à William Faulkner, dont les romans ont été édités par Gallimard dans un autre ordre et avec d’autres intentions initiales que celles de l’oeuvre originale.
Les lecteurs français ont ainsi d’abord découvert un Faulkner tragique, violent et au style unique. Ils devront attendre pour découvrir son humour[[Voir l’article Un Humour méconnu d’Annick Chapdelaine dans le Magazine littéraire n°272.]] et sa dimension de « romancier policier », grand amateur de John Dickson Carr, Dorothy Sayers, Rex Stout, Ellery Queen, etc.[[Voir l’article Sanctuaire, un vrai roman noir, de Jean-Baptiste Baronian, idem.]]
Sanctuaire paraît en France en 1933, préfacé par André Malraux, et Tandis que j’agonise un an plus tard, préfacé par Valery Larbaud (Jean-Louis Barrault en présente une adaptation au Théâtre de l’atelier en 1935).
Aux États-Unis, si c’est Sanctuaire qui, par son parfum de scandale[[L’action de Sanctuaire se déroule dans le Sud des années trente. On devine plus qu’on n’assiste aux actes les plus sanglants d’un récit qui n’est pas décrit dans l’ordre chronologique. Popeye viole Temple, une jeune étudiante, avant de tuer un homme et de conduire Temple dans une maison close… Quelques cadavres plus loin, on trouvera celui de Popeye, pendu pour un crime qu’il n’a pas commis…]], avait en effet apporté une certaine renommée en 1931 à un auteur devenu alors l’emblême du nouveau roman américain, d’autres romans avaient précédé, qui lui avaient valu un succès d’estime : Monnaie de singe en 1926, Moustique en 1927, Sartoris et Le Bruit et la fureur en 1929, Tandis que j’agonise en 1930.
L’éditeur Gallimard choisit ainsi d’introduire Faulkner par un roman susceptible de frapper le public.
Maurice-Edgar Coindreau, professeur et traducteur aux États-Unis entre 1923 et 1961, avait écrit dans la Nouvelle revue française en juin 1931 le premier article publié en français sur Faulkner, insistant justement sur son côté tragique et son style.
Malraux propose également une lecture semblable dans sa préface à Sanctuaire. Souvenons-nous que La Condition humaine paraît aussi en 1933…
Sartre, lui, est professeur au Havre, mais à l’affût des littératures nouvelles. Il donne au début des années trente des conférences sur Dos Passos, Woolf, Huxley, etc. dans la salle de la Lyre, à côté du lycée Henri Génestal. Lorsque Simone de Beauvoir lui conseille de s’intéresser à Faulkner, il découvre ce qu’il rêve d’être : un écrivain qui bouscule le roman « bourgeois » traditionnel par sa violence et son style qui se refuse au récit objectif et linéaire pour procéder par points de vue multiples et flash-backs[[Sartre donne en octobre 1945 une conférence intitulée « Une technique sociale du roman » à la Maison des Lettres de la rue Saint-Jacques. Michel Butor y entend parler pour la première fois de Faulkner, Dos Passos et Virginia Woolf. Cela va fortement influencer ses propres romans.]].
Il faut remonter quelques années en arrière pour rencontrer Faulkner à Paris.
Son séjour au Grand hôtel des Principautés unies (26 rue Servandoni et 42 rue de Vaugirard) s’étale entre l’automne et décembre 1925. Il est sur le continent depuis juillet, en Italie, en Suisse, à Londres, en Bretagne, en Normandie… À 29 ans, il visite des champs de bataille de la Première guerre – que, comme Fitzgerald, il est frustré de n’avoir pu faire. Préférant le jardin du Luxembourg (où, en septembre, il s’installe toute la journée) et la compagnie des enfants et des ouvriers à celle de la Lost generation, il ne rencontre ni Sylvia Beach, ni Gertrude Stein ni Hemingway, mais assiste à la messe à Saint-Sulpice.
Hollywood – et en particulier Howard Hawks – lui commandera des scénarios à partir de 1932. C’est son gagne pain, ainsi que ses nouvelles. Il s’est endetté pour acquérir sa propriété de Rowan Oak en 1930 ; il nourrit une parenté toujours plus large qui s’appuie sur lui, et ses romans ne remplissent pas la marmite à eux seuls.
Le second séjour de Faulkner à Paris dure trois jours et se déroule à l’occasion de sa venue à Stockolm pour recevoir en 1950 le prix Nobel. On l’y revoit en 1952, 1954 (il est alors hospitalisé à l’Hôpital américain – entre dépressions, crises d’éthylismes et peines de coeur, sa santé est fragile) et 1955. Le prix Nobel a fait de lui une personnalité « médiatique ».
Sources :
Sartre 1905-1980. Annie Cohen-Solal, Folio essais n°353.
Walks in Hemingway’s Paris. Noel Riley Fitch. St Martin’s Griffin, New York.
Magazine littéraire n°272 (décembre 1989).