Jack l’éventreur aurait-il gagné Paris après avoir sévi à Londres en 1888 ?
C’est la question que se posent les autorités et l’opinion publique cet hiver 1895. A Montmartre, une petite fille est retrouvée poignardée le 28 décembre devant le cimetière Saint-Vincent. Une prostituée est assassinée presque aussitôt.
La prostitution et Montmartre sont deux univers fréquentés par Henri de Toulouse-Lautrec, 31 ans, qui participe à l’enquête aux côtés du commissaire Lepard et des inspecteurs Berflaut et Guyon.
En effet, la jeune soeur de Mireille, un des modèles préférés du peintre, a disparu dans le cambiolage d’une maison bourgeoise du boulevard de Courcelles. La poursuite des cambrioleurs va croiser la piste des assassins pour déboucher sur une affaire de moeurs comme on dit alors, ou sur un réseau de pédophilie, comme on dit aujourd’hui.
A travers cette enquête menée tambour battant, c’est le Paris de l’affaire Dreyfus que Renée Bonneau ressuscite, et le Montmartre de Toulouse-Lautrec et de ses amies danseuses et prostituées. Un travail documentaire important a permis à l’auteur de faire revivre, jusque dans les petits détails – voir l’entretien ci-dessous -, la vie du peintre et de ses proches : Aristide Bruant, La Goulue, Yvette Guilbert, Jane Avril… Les lieux retrouvent leurs couleurs de jeunesse : Le Moulin rouge (ouvert en 1889), Le Rat mort, L’Elysée Montmartre, le moulin de la Galette, etc.
Voic quelques repères pour parcourir la butte Montmartre et ses alentours en compagnie des personnages de Sanguine sur la butte.
L’inspecteur Berflaut habite dans un appartement du square Montholon. Il est rattaché, ainsi que ses collègues, au commissariat de la rue Caulaincourt, non loin de l’atelier-appartement de Toulouse-Lautrec au rez-de-chaussée du 27 de la rue Caulaincourt, à l’angle de la rue Tourlaque (où celui-ci apprend par Mireille la disparition de sa jeune soeur).
Cette dernière travaille dans la maison de rendez-vous du 24 rue des Moulins[[Ou n°6, selon Les Traversées de Paris, Alain Rustenholz, éditions Parigramme, 2006.]].
Aristide Bruant et Lautrec pleurent la mort de leur amie Rosa la Rouge au cabaret Le Mirliton, que Bruant dirige 12 rue Victor Massé (c’est l’ex Chat noir).
Marcel Jargot, le souteneur de Rosa la rouge, habite 8 rue Véron.
A un moment de l’enquête, l’intérêt des inspecteurs est attiré par l’attitude d’un homme étrange qui stationne devant l’école de filles de la rue Durantin. Il s’agit en réalité d’un photographe, clone de Lewis Carroll, qui demeure au rez-de-chaussée d’un immeuble au fond du square Pétrelle.
Quant à Lautrec, il emménagera au 30 rue Fontaine en juin 1895, où il vivra jusqu’en 1898, installant en mai 1897 son atelier au 15 avenue Frochot.
Sources :
– www.toulouselautrec.free.fr/biographie_longue.htm
– http://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_de_Toulouse-Lautrec présente de magnifiques reproductions des oeuvres du peintre.
Sanguine sur la butte . Renée Bonneau, éditions Alain Bargain (http://perso.wanadoo.fr/editions.bargain), 2001.
Entretien avec Renée Bonneau[[renee.bonneau@free.fr.]] (avril 2007).
Terres d’écrivains : Quel est votre objectif: instruire, distraire ?
Renée Bonneau : C’est apprendre au lecteur et apprendre moi-même. Cela vient sans doute de mon habitude d’enseignante. Je n’en sais pas plus que le lecteur au début d’une histoire. Je n’étais pas très portée sur l’histoire lorsque j’étais jeune. J’étais plutôt une «~littéraire.~»
J’essaie d’intéresser et d’instruire sans ennuyer par des informations gratuites qui l’emporteraient sur l’élément policier. Je crois que le roman policier historique ne doit pas « sentir la fiche » . Je tente plutôt de faire entrer le réel par petites touches. C’est ce que Roland Barthes appelle «~l’effet de réel~» . Les notes ne doivent être utilisées que lorsqu’elles sont indispensables, plutôt rejetées en annexe, avec éventuellement un glossaire, afin de ne pas interrompre la lecture.
Par ailleurs le polar ne doit pas être trop long. Pour qu’un roman policier historique dépasse les 200 pages, il faut vraiment qu’il y ait une raison, ou des meurtres à répétition comme dans Le Nom de la rose.
Faire court est ma hantise. J’ai tellement peur d’ennuyer !
C’est donc votre intérêt pour une période historique qui vous a conduit au polar ?
Oui, et non. Plutôt le hasard, la découverte des peintres américains de Giverny En visitant un jour le musée américain, je suis tombée en arrêt devant une toile montrant un match de tennis. J’ai dit à mon mari: «~Ce serait amusant d’imaginer une intrigue à cette époque entre les partenaires d’un match de tennis~». Je pensais d’abord à une intrigue sentimentale, mais cela s’est transformé en une intrigue policière et c’est devenu mon premier roman[[Nature morte à Giverny, Editions du Valhermeil, 2006.]].
J’éprouve une prédilection pour la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Par ma grand-mère, mon enfance a été bercée par les années fin de siècle à Montmartre. Elle me chantait du Bruant ! A cinq ans, je connaissais Nini Peau d’chien. On retrouve cette époque et ce décor dans Sanguine sur la butte[[Editions Alain Bargain, 2001.]] et dans Dernier cancan au Moulin Rouge[[A paraître à l’automne 2007 à Nouveau Monde Editions.]]. Je veux faire passer au lecteur ce qui me fait vibrer dans cette période. En investiguant sur les années 1895-1900 pour donner une suite aux aventures du commissaire Berflaut, je suis tombée sur l’incendie du bazar de l’Hôtel de la Charité en 1897, qui sera la matière de mon prochain roman.
Vous lisez d’autres romans historiques sur cette période ?
Oui, ceux de Claude Izner en particulier. J’aime beaucoup aussi Anne Perry, sauf le roman qu’elle a écrit sur le Paris révolutionnaire[[A l’Ombre de la guillotine, collection 10/18.]] et qui est, de l’avis de beaucoup, de qualité moindre que ses deux séries très réussies sur l’Angleterre victorienne. J’apprécie également Héléna Arseneva, ainsi qu’Hubert Prolongeau. C’est en lisant son Cauchemar de d’Alembert que je me suis dit : «~C’est ce que je veux faire.~»
J’ai par contre beaucoup de mal à croire en des fictions dans lesquelles on nous présente un Aristote détective ou un enquêteur qui vit dans des temps très reculés. Je trouve cela plutôt ridicule, car on manque tellement d’informations sur ces périodes très anciennes !
Dans vos romans avec Toulouse-Lautrec[[Sanguine sur la butte et Dernier cancan au Moulin Rouge.]], vous précisez au lecteur, en début ou fin d’ouvrage, ce qui est réel et ce qui est le fruit de votre imagination…
Oui. Comme je mets en scène certains personnages qui ont réellement existé, je pense qu’il est important de préciser ce qui est vrai et ce qui est imaginé. On doit leur faire dire et faire des choses soit qu’ils ont dites ou faites soit qu’ils auraient pu dire et faire, sans que ça tombe en contradiction avec ce que l’on sait d’eux par leur correspondance, leurs souvenirs ou ceux de leurs contemporains. Regardez ce qui est arrivé avec Da Vinci code : on ne parvient plus à distinguer le vrai du faux ! Et je trouve dommage que le Louvre soit allé jusqu’à créer un circuit Da Vinci code à l’intérieur du musée…
Le Toulouse Lautrec que je montre est conforme à ce qu’il était : son caractère, ses relations avec sa mère et avec les femmes. Si, dans Sanguine sur la butte, il explose en déclarant à sa mère qu’il va au bordel, c’est parce que nous savons que sa mère savait, même si ce n’est pas lui qui le lui a appris directement. Beaucoup de personnages secondaires sont décrits tels qu’ils ont réellement été.
Justement, les lieux du récit semblent très importants pour vous. On visualise en permanence les déplacements de vos personnages, qu’ils se trouvent à Giverny ou sur la butte Montmartre, vous indiquez souvent des adresses précises, etc.
Notre regard est façonné par le cinéma. Nous avons besoin de voir bouger les personnages. J’ai en effet passé beaucoup de temps dans les jardins de Monnet à Giverny. Pour écrire Sanguine sur la butte et Dernier cancan au Moulin Rouge, j’avais en permanence un plan de Montmartre sous les yeux. Pour le roman que je prépare sur l’incendie du bazar de l’Hôtel de la Charité en 1897, je me suis documentée aux archives du musée de la police dans le Ve arrondissement, dans les mémoires du préfet Lépine, en me rendant sur les lieux et en les comparant au récit de la main courante du commissariat de police de l’époque.
Vous vous documentez beaucoup avant d’écrire ?
Pour un roman, je passe en moyenne un an à me documenter et six mois à écrire. On découvre dans les archives des histoires incroyables ! J’interroge aussi des spécialistes de l’histoire de la police. Pour Dernier cancan au Moulin Rouge, je suis allée interroger le propriétaire du Moulin Rouge pour avoir des détails technique sur l’éclairage et le mécanisme des ailes. J’utilise également Internet pour interroger des historiens.