Peut-on encore écrire des poèmes après Auschwitz, demandait en substance Adorno ? Cette interrogation est au cœur de la démarche et de l’œuvre de Celan qui toute sa vie écrira en allemand, du « dedans de la langue de mort » (G. Steiner).
Paul Antschel est né en 1920, dans une famille juive, à Tchernovicz, ancienne ville de l’empire austro-hongrois devenue, depuis la fin de la guerre, roumaine – 110 000 habitants, dont 60 000 juifs, avec une forte population ukrainienne -. Chez lui on parle l’allemand, qui sera toujours pour lui la « Muttersprache ». Il pratique aussi l’hébreu, le roumain, le yiddish, puis apprendra le russe, l’anglais, l’italien, le français.
En 1938, le jeune Paul souhaite faire des études de médecine, mais le numerus clausus imposé aux juifs l’oblige à partir à l’étranger. Il quitte Tchernowicz pour aller à Tours en France, et traverse l’Allemagne le 9 novembre 1938, le lendemain de la « nuit de cristal ». Un de ses poèmes futurs en gardera la trace :
« tu es venu
par Cracovie à l’Anhalter
Bahnhof
vers tes regards coulait une fumée
qui était déjà de demain. Sous
des pauwlonias
tu voyais les couteaux dressés, encore, aiguisé par la distance »
« La Contrescarpe », in La rose de personne.
Le 10 novembre il arrive pour la première fois à Paris, et s’arrête quelques jours chez son oncle maternel, rue de l’Ecole de médecine (5ème arrdt.) avant de rejoindre Tours. Il visite le Louvre, le musée Rodin, la Comédie française, le Quartier Latin, Montmartre, Montparnasse.
Au printemps 1939, il vient chez un ami et loge rue Monsieur-le-Prince (5ème arrdt.). Il assiste à une représentation de La Mouette de Tchekov, montée par Pitoëff et de Knock de Romain, monté par Jouvet.
Pour les vacances universitaires, il retourne en Roumanie. Les événements mondiaux ne lui permettent pas de revenir en France. Il passe les années de guerre dans un pays où allemands et soviétiques occupent alternativement le terrain. S’il échappe à la mort, ce n’est pas le cas de ses proches : son père mourra du typhus en camp et sa mère sera assassinée par les nazis.
En 1948, il décide de rejoindre la France où il arrive le 14 juillet 1948. Il s’installe à l’hôtel d’Orléans (devenu depuis l’hôtel de Sully Saint-Germain) au 31, rue des Ecoles (5ème arrdt.). Pauvre, il vit de « petits boulots », de traductions, et s’inscrit en licence d’allemand à la Sorbonne.
C’est en novembre 1951 qu’il rencontre Gisèle de Lestrange, peintre et graveur, qui devient sa femme le 23 décembre 1952.
En juillet 1952, il s’installe au 5, rue de Lota (16ème arrdt.) dans un deux-pièces d’un hôtel particulier appartenant à la famille de sa femme.
Un premier enfant, Paul, meurt le lendemain de sa naissance.
Son second fils, Eric, naît le 6 juin 1955.
En juillet 1955, Paul et sa femme déménagent quelques rues plus loin pour habiter dans l’ancien appartement de Gisèle de Lestrange, au 29 bis rue de Montevideo.
C’est la même année de Paul Antschel obtient son décret de naturalisation – mais le ministère de la santé publique et de la population refuse de prendre en compte sa demande de transformation de son nom en son nom de plume (anagramme d’Antschel) Celan.
En novembre 1957, la famille Celan déménage à nouveau dans le même quartier pour habiter un quatre-pièces au 78, rue de Longchamp (5ème étage gauche côté rue).
En 1959, il est nommé lecteur à l’Ecole Normale Supérieure, 45, rue d’Ulm (5ème arrdt.), où une salle porte désormais son nom, à côté d’une salle dédiée à Samuel Beckett, autre lecteur de l’Ecole.
Les cours ont souvent lieu à l’Institut d’études germaniques, 5, rue de l’école de médecine (5ème arrdt.).
Durant toutes ces années, il fréquente le Quartier latin, la place de la Contrescarpe, entre autres le café la chope aujourd’hui disparu, les cabarets… Il fait de nombreux voyages en Allemagne pour des lectures de poèmes, dont il revient souvent non sans un certain malaise.
En 1952, il obtient le prix Büchner, le plus grand prix littéraire allemand (autres lauréats : Enzenberger, Grass, Böll, Bernhard, Canetti, Handke, Dürrenmatt, Jelinek…).
1959 : c’est aussi une rencontre ratée avec Adorno, d’où naîtra un petit texte essentiel, L’entretien dans la montagne.
1967, c’est une rencontre avec Heidegger, très diversement commentée, et dont le poème Todtnauberg n’éclaircit pas le mystère.
A partir de 1962, des crises de délire lui valent des internements répétés. Crises renforcées par la campagne de calomnie menée contre lui, par Claire Goll, veuve du poète Yvan Goll.
Suite à un épisode grave, en 1967, sa femme et lui décident de se séparer et il va habiter un petit studio, au 24, rue Tournefort (5ème arrdt.).
Un poème encore inédit, écrit le 6 juin 1968, jour anniversaire d’Eric, porte ce nom « 24, rue Tournefort ».
En octobre 1969, il fait son premier voyage en Israël, qu’il abrège de quatre jours.
A partir de novembre 1969, il habite dans un logement de l’avenue Emile Zola (15ème arrdt.), où il ne s’installe pas vraiment.
Fin avril 1970, il se jette dans la Seine et son corps est retrouvé à 10 kms en aval de Paris, le 1er mai. Dans sa poche, deux billets inutilisés pour une représentation d’En attendant Godot.
On présume que le lieu de son suicide est le pont Mirabeau. Reconstruction poétique liée au souvenir d’Apollinaire ? Peut-être ? Mais aussi parce que dans un poème ancien, on trouve ces vers prémonitoires :
« De la dalle,
du pont, d’où,
il a rebondi
trépassé dans la vie, volant
de ses propres blessures, – du Pont Mirabeau ».
« Et avec le livre de Tarussa », in La rose de personne
Dans un poème encore inédit, daté du 4 août 1969, jour où il avait retiré son alliance pour la mettre dans une enveloppe, il avait écrit :
« Tu jettes après moi, un noyé,
de l’or :
peut-être qu’un poisson
se laissera soudoyer
Mort, donne-moi
Ma fierté ».
Bernard BIER (bgbier@club-internet.fr).
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