Sur les pas d’Hemingway à Paris (1921-1923)

Suivre Hemingway dans ses premières années à Paris est passionnant à plus d’un titre :
– Paris a fait de lui un écrivain. Ses années parisiennes sont le récit d’un apprentissage qu’il va idéaliser dans Paris est une fête (The Moveable feast) à la fin des années 1950, d’une façon telle que chacun de nous peut se reconnaître dans ce jeune homme d’une vingtaine d’années à peine qui débarque à Paris pour devenir célèbre,
– Hem est impressionnant aussi par son avidité, sa capacité et sa rapidité à apprendre des autres : que ce soit le français ou l’argot parisien, ou l’art d’écrire,
– il côtoie à Paris les écrivains les plus célèbres de sa génération : Joyce, Fitzgerald, et tous les écrivains de la Lost generation,
– il est impressionnant par sa capacité à transformer la réalité et à se créer différents personnages : le poète, le turfiste, le super-reporter, le vétéran de guerre, le boxeur aguerri, le grand voyageur européen et surtout l’écrivain apprenti, laborieux et pauvre, qui s’habille avec une chemise de marin et un pantalon d’ouvrier,
– ses pérégrinations dans Paris sont nombreuses et faciles à situer, de la rive gauche à la rive droite.

ETAPE 1 : HOTEL JACOB, 44 RUE JACOB

Paris voit naître l’écrivain Hemingway entre son arrivée en décembre 1921 et 1923-24.

A la fois, cela aurait pu se produire ailleurs qu’à Paris :
– c’est l’époque où Hem se concentre à plein dans l’écriture,
– il maîtrise déjà son style de « journaliste menteur » (nous y reviendrons).

A la fois, cela n’a pu se produire qu’à Paris :
– il se fond ici dans une communauté de personnes qui vont l’aider à progresser : principalement Sylvia Beach, Ezra Pound et Gertrude Stein,
– en lui proposant des lectures nouvelles,
– en le faisant étudier et travailler son style.

Hem, reporter pour le Toronto Star jusqu’en 1923, arrive à l’hôtel Jacob le 22 décembre 1921 avec sa femme Hadley, qui parle français.

Ils ont débarqué à Cherbourg le 21 décembre.
L’écrivain Sherwood Anderson leur a conseillé de venir ici pour progresser dans l’écriture et rencontrer de grands écrivains.

Il leur a confié des lettres d’introduction pour Sylvia Beach, Gertrude Stein, Ezra Pound, etc. et leur a indiqué les bonnes adresses de la capitale (en particulier le Dôme et les cafés de Montparnasse).

Hem a fait un court séjour à Paris en 1918, à la fin de la guerre à laquelle il a participé comme ambulancier. Hadley est venue à Paris en 1910.

La France est le pays de cocagne des Américains dans les années 1920 : la vie n’est pas chère pour qui a des dollars ; il n’y a pas de prohibition sur l’alcool ; les moeurs sont plus libres.

Leur chambre à l’hôtel Jacob coûte 30 dollars par mois.
Les revenus des placements boursiers de Hadley s’élèvent à 3000 dollars par mois.

Ils sont calculé qu’avec moins de 3 dollars par jour, ils pouvaient dormir, manger, se déplacer et aller au spectacle.

Ernest ne connaît rien de Paris ; il ne parle pas un mot de français. En s’aidant d’un guide historique de Paris, des talents d’interprète de Hadley et de ses propres dons pour observer et enjoliver la réalité, il va pourtant écrire au bout de quelques jours des articles qui vont le faire passer pour un spécialiste de la vie parisienne et de la France.
Ses différents reportages en Europe sur des questions politiques, sociales ou économiques, vont également le former à grande vitesse.

ETAPE 2 : SHAKESPEARE & COMPANY, 12 RUE DE L’ODEON

Ernest et Hadley y entrent pour la première fois le 28 décembre 1921, toujours sur recommandation de Sherwood Anderson.

La librairie est installée ici depuis l’été 1921. Sylvia Beach l’a créée en novembre 1919 tout près, au 8 rue Dupuytren, puis est venue s’agrandir ici.

En décembre 1921, elle est, avec James Joyce, en pleine correction des derniers chapitres d’Ulysse qu’elle va publier en février 1922.

Entre 1921 et 1936, Sylvia Beach habite 18 rue de l’Odéon avec Adrienne Monnier, qui a ouvert pendant la première guerre une autre librairie, Aux Amis des livres, au 7 rue de l’Odéon, presque en face.

Hem emprunte ou achète des livres (il en possède 450 chez lui en 1928 lorsqu’il quitte Paris).

Il découvre Tourguéniev, D. H. Lawrence, Tolstoï, Dostoievsky, TS Eliot, Joyce – dont il va lire toute l’oeuvre en 1922-23 (Pound lui conseillera aussi de lire Flaubert et Stendhal, et Henry James, dont Hemingway apprendra tout l’art des dialogues, qui consiste à exprimer des sentiments non pas dans les paroles, mais dans les non-dits).

Ses modèles étaient Hem jusqu’alors Kipling, O. Henry, Sherwood Anderson et les feuilletons du Saturday Evening Post.

Chez Shakespeare & Co, l trouve également la presse anglophone.

Hadley est également une grande consommatrice, car Ernest la laisse souvent seule lorsqu’il voyage en Italie, en Espagne, en Allemagne ou ailleurs en Europe (le Toronto Star voulait aussi l’envoyer dans la Russie des soviets, mais il n’ira finalement pas, sans doute devant le refus d’Hadley de rester seule plusieurs semaines).

Sylvia est le carrefour de la Lost generation dans les années 1920. Elle servira aussi de banque, de boite postale, de garderie pour les Hemingway.

Shakespeare & Co vend en 1924 seulement 24 exemplaires de In our time, son second ouvrage publié au printemps 1924. Hem écrit à ses amis que le livre se vend vite !

ETAPE 3 : GERTRUDE STEIN, 27 RUE DE FLEURUS

La première visite des Hemingway date du 8 mars 1922 (après avoir visité les Pound à la mi-février).

Malgré les louanges que lui en a faites Sherwood Anderson, Hem est a priori sceptique sur les qualités littéraires de Gertrude.

Il l’abordera d’abord avec respect puis avec condescendance, comme à l’égard de la plupart des écrivains qu’il côtoiera et jugera comme des êtres passifs, Hem lui-même ne voulant pas être considéré comme un écrivain, mais comme un homme d’action : un explorateur, un chasseur, un sportif.

Gertrude Stein occupe ici avec son amie Alice Toklas un bel appartement décoré par des toiles de Picasso, Matisse, Masson, Cézanne… et reçoit chaque jour à partir de 17 heures (surtout avant-guerre).

Alors que Pound, qui habite 70 bis rue Notre-Dame-des-Champs, apprend à Hem à travailler et retravailler ses textes et à utiliser les symboles, Stein lui enseigne plutôt l’écriture automatique. Hem n’en retiendra que ce qu’il veut mais, pour la première fois, décortiquera son propre style et celui des autres.
Elle appelle Pound un « explicateur de village ». Lui la nomme un « vieux bac de tripes ».

Ce qui fera rapidement le style Hemingway, c’est sa faculté de mêler des observations brutes, qu’il a notées sur le vif en bon journaliste, et de la pure invention. Que ce soit dans ses romans, dans ses articles ou ses courriers, il est incapable de décrire des faits sans les transformer. Il dit lui-même que les meilleurs écrivains sont des menteurs.

Stein invente traite un jour Hem et ses pairs de « Generation perdue », signifiant par là une génération dont l’éducation a été sacrifiée par la guerre, et qui gâche sa vie dans l’alcool et la paresse.

D’autres, comme Harold Loeb, entendront par cette expression une génération déracinée spirituellement et physiquement, mais pleine d’espoir et d’énergie.

ETAPE 4 : 74 RUE DU CARDINAL LEMOINE

C’est l’adresse des Hemingway entre le 9 janvier 1922 et août 1923, pour un loyer de 60 dollars par mois, au 3e étage, comme indiqué sur la plaque apposée sur la façade (le « 4e » pour les Américains).

Quatre mois auparavant, la famille Joyce a quitté l’appartement du 71 rue du Cardinal Lemoine prêté par Valery Larbaud.

L’appartement du 74 se compose de deux pièces et d’une petite cuisine, dans laquelle Hadley installe un piano loué. Le quartier est très populaire. Un bal musette occupe le rez-de-chaussée. Hem aime y recevoir ses amis écrivains et leur montrer comme il est pauvre (alors que les revenus d’Hadley leur permettraient de louer un plus bel appartement).

Pendant l’été 1922, il écrit la nouvelle My Old man, qui est une histoire de courses de chevaux truquées.

Son 1er poème publié l’est en juin 1922 par la revue The Double Dealer, après un 1er refus en mars de la plus grande revue littéraire américaine, The Dial, qui avait profondément vexé Hemingway. La revue Poetry publiera bientôt ces poèmes refusés par The Dial.

Son premier ouvrage publié l’est à l’été 1923 : Three stories & ten poems (qui comprend la nouvelle My Old man, en français Mon Vieux, publiée dans le recueil de nouvelles 50 000 dollars) et In our time en 1924, tout cela grâce à Pound.

Les Hemingway quittent cet appartement en août 1923 pour aller au Canada, à la fois parce qu’Ernest doit travailler sur place pour le Toronto Star, et parce qu’Hadley doit accoucher d’un fils, arrivé « par accident ».

Hadley et Ernest s’éloigneront l’un de l’autre à part de 1925.

ETAPE 5 : LE CAFE DE LA PAIX, 5 PLACE DE L’OPERA

Le Café de la Paix reçoit la visite des Hemingway le soir de Noël 1921. Ils veulent fêter leur premier réveillon à Paris… et n’ont pas de quoi payer toute la note du dîner ! Ernest court alors à l’hôtel Jacob chercher ce qui manque, pendant qu’Hadley l’attend sagement à table, la mine déconfite.

Plus tard, Le Café de la paix sera une halte fréquente de Hem sur son chemin vers la Guaranty Trust Company (1 rue des Italiens), qui est son adresse postale à partir de 1926, où, également, il dépose et retire de l’argent.

Aujourd’hui, le prix d’un café y est supérieur au prix d’un roman de Hem (en édition de poche).

  1. 1
    Joshua

    Sur les pas d’Hemingway à Paris (1921-1923)

    Paris a joué un rôle important pour de nombreux écrivains. Mais surtout, elle affecté le travail de Henry Miller, je pense que oui. Sa vie à Paris est très colorée décrite dans le Tropique du Cancer livre !
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