«Il y a toujours une chose qui m’intéressera plus que les oeuvres mêmes des écrivains : c’est la façon dont ils les écrivirent, ce sont les sentiments, sincères ou imaginés […], qui les animaient en écrivant. Quand ils écrivent, je voudrais pouvoir les voir.»
Journal, tome I, page 15.
«Connaître des gens, avoir leur confiance, connaître leur intimité, jusqu’à leurs vices et leurs vilaines histoires. Tout écrire.»
Journal, tome I, page 506.
Paul naît 37 rue Molière, en janvier 1872 et est baptisé à l’église Saint-Roch. Ses parents sont Firmin Léautaud, régisseur et souffleur de théâtre, et son amante Jeanne Forestier, comédienne qui se désintéresse de son fils dès sa naissance. Elle préfère retrouver ses amies aux Folies-Bergères.
Paul est mis en nourrice à Étampes, puis chaussée du Maine à Paris. Il vit 13 rue des Martyrs avec son père (qui habitera plus tard 21 rue des Martyrs) à partir de 1874. La vieille bonne de celui-ci, Marie Pezé, prend soin de Paul et l’héberge souvent chez elle, dans sa chambre du 6e étage du 14 rue Clauzel. Ils se promènent square Montholon, square Rollin ou square de la Trinité. Paul va à l’école rue Milton puis rue Rodier.
Jeanne Forestier, elle, demeure 12 passage Laferrière et rend visite à Paul de temps en temps. À dix ans, il tombe amoureux d’elle, « l’éternelle absente ». Elle lui inspire ce sentiment trouble pendant plusieurs années. Elle se marie en 1895 avec un médecin genevois, Hugues Oltramare.
Entretemps, Marie Rezé est congédiée en 1881 et M. Léautaud, sa nouvelle maîtresse et Paul emménagent à Courbevoie, 3 avenue de la République. Une ville « grise » succède pour Paul au quartier animé de la rue des Martyrs. Son père est parfois très violent et ne veut pas dépenser pour lui. Paul exerce donc des petits métiers à partir de 15 ans.
Il choisit ses lectures en autodidacte : France, Barrès, Renan… Il entre comme employé à La République française en 1889.
Il loge en 1890-1891 avec Jeanne Marié 13 faubourg-Saint-Jacques, et s’installe seul dans une chambre au 6e étage du 14 rue Monsieur-le-Prince, puis rue Amyot en 1892. Il crée en 1893 la petite revue L’Indépendance littéraire avec Adolphe Van Bever – son ami de l’école communale de Courbevoie -, et commence l’écriture d’un Journal. Adolphe est employé au théâtre de l’Oeuvre de Lugné-Poé et invite Paul à assister à des représentations. Ce dernier y rencontre Alfred Valette, directeur de la maison d’édition et de la revue Le Mercure de France. Ce dernier accepte de publier des textes de Paul en 1895. Aux « mardis » de Rachilde, la femme d’Alfred, Léautaud fait la connaissance de Paul Valéry. Valéry loge à l’hôtel Henry-IV, rue Gay-Lussac, et Léautaud 11 rue de Condé (après avoir vécu à l’hôtel de Savoie et à l’hôtel Vauquelin, rue des Fossés-Saint-Jacques). Tous deux se promènent en autobus et parlent des écrivains qu’ils aiment : les auteurs des Lumières, Stendhal, Mallarmé… À partir de 1930 environ, leurs relations seront moins chaleureuses, Léautaud ayant le chic pour se fâcher avec tous ses amis, tout en reconnaissant que c’est lui qui en général prend l’initiative de critiquer leur personne ou leur oeuvre.
Van Bever est embauché au Mercure de France en 1897, et Paul en 1908. Tous deux publient en 1900 au Mercure une anthologie : Poètes d’aujourd’hui. Paul habite 29 rue de Condé en 1900, 15 rue de l’Odéon en 1903 et 17 rue Rousselet en 1905 avec Blanche Blanc, à laquelle il s’est lié en 1898. Entre 1902 et 1906, il travaille à l’étude Lemarquis et emménage 17 rue Duguay-Trouin en 1908.
C’est en 1911 qu’il s’installe avec Blanche à Fontenay-aux-Roses, 19 rue Ledru-Rollin. Blanche ouvre une pension de famille 24 rue Guérard, où Léautaud emménage en 1912, se séparant d’elle[[Il y demeure jusqu’en janvier 1956, date à laquelle il se retire pour mourir chez le docteur Le Savoureux, à la Vallée-aux-loups à Châtenay-Malabry.]].
Au Mercure de France, il a commencé par la chronique théâtrale. Mais, comme il l’explique dans une lettre à Marie Dormoy (31 janvier 1935), les pièces dont il parle ne sont qu’un prétexte pour parler des gens qu’il y a croisés, des conversations qu’il y a surprises, etc. Ses excès de style faisant fuir des abonnés, Valette lui confie une autre rubrique. Léautaud adresse alors ses critiques dramatiques à la Nouvelle revue française et aux Nouvelles littéraires… jusqu’à un nouveau désaccord avec leur rédaction…
Il est de toute façon contre toutes les institutions : l’État, la famille, la patrie, les églises, l’armée, l’école. Il écrit dans son Journal : «Aucun maître, ne rien servir» (tome II, p. 1231). Dans la foulée, il «vomit» le mot peuple.
Une seule cause gagne sa sympathie : la défense des compagnons de son enfance, les animaux, des plus petits aux plus grands. La maison de la rue Guérard devient dès 1912 un refuge pour animaux abandonnés, et c’est pour cela que l’écrivain renonce à habiter dans la capitale, qu’il adore.
Au total, environ 300 chats, 150 chiens, une oie et un singe vont y élire domicile jusqu’à 1959. Léautaud accepte de payer cher sa vocation : le temps consacré à ces petites bêtes, et la contrainte de devoir gagner un salaire pour les nourrir l’empêche de se consacrer entièrement à son oeuvre.
Jacques Bernard, le directeur collaborationniste du Mercure de France, l’en chasse en 1941. Léautaud, pacifiste au fond de l’âme, désapprouve la Résistance et pense qu’il vaut «s’entendre»[[Journal, 30 novembre 1942.]] avec l’occupant.
Le Mercure de France publie en 1986 son Journal : 6500 pages et 63 ans… Grâce à son oeuvre maîtresse dont le premier volume a été publié en 1954, Léautaud est devenu riche et célèbre.
Source :
Sagaert ( Martine). Paul Léautaud. Editions Le Castor astral, collection « Millésimes », 2006.
À voir :
La chambre de l’écrivain reconstituée au musée Carnavalet à Paris.