Benjamin Constant.
Aussi la vie de Benjamin Constant fut-elle, non point la vie d’un homme, mais celle d’une femme,
c’est-à-dire un composé de contradictions et de faiblesses. »
Alexandre Dumas, Mes Mémoires, chap. CLXXX.
Attention ! Ne vous aventurez pas jusqu’à Hérivaux ! Vous risqueriez de tomber amoureux d’un lieu qui a conservé son caractère sauvage d’il y a deux siècles…
L’accès au château est long et magnifique, mais peu avenant : au bout d’un beau chemin qui traverse les champs vous attend une bifurcation vers deux autres chemins… tous deux en sens interdit ! Il faut prendre celui de droite, à pieds.
L’homme dont la vie sentimentale qu’il raconte dans ses Journaux intimes et, de façon romancée et dramatique dans Adolphe, aurait fait le bonheur des paparazzi est né à Lausanne le 25 octobre 1767 (à cette époque, son compatriote Jean-Jacques Rousseau se cache à Trie-Château…).
Orphelin de mère, Benjamin Constant montre très vite un esprit vif, rendu plus vif encore par une jeunesse cosmopolite. La modestie ne fait pas partie de son vocabulaire, pas plus que la générosité ni… la constance, car il est aux prises avec un fort désir d’être reconnu…
Il arrive à Paris en 1795 en compagnie de Germaine de Staël, dont il a fait la connaissance un an plus tôt dans le château de celle-ci, à Coppet, et qu’il décrit sous les traits de Mme de Malbée dans Cécile, son roman posthume.
Il achète les restes de l’Abbaye d’Hérivaux en 1796. Décidé à « percer » en politique, il estime que ce domaine de jardins, de terres, de vignes et de bois à huit lieux de Paris l’aidera à obtenir la nationalité française et la reconnaissance de ses pairs. Cherchant l’isolement et la tranquillité, il emménage dans l’aile encore debout d’un bâtiment annexe, coeur de ce qui deviendra plus tard le château. Il y installe sa bibliothèque, et poursuit la démolition d’autres parties de l’ancienne abbaye (dont les restes qui entourent l’église du XIIème siècle sont actuellement visibles derrière le château). Madame de Staël séjourne quelques mois à Hérivaux en 1797 puis 1798. Une fille, Albertine, naît de son union avec Benjamin. Leur amour dure quatre-cinq ans et sera suivi de relations espacées et tumultueuses pendant une vingtaine d’années.
À Hérivaux, Constant rédige Des réactions politiques et Des effets de la Terreur.
En 1796 est publié son essai De la force du gouvernement actuel de la France et de la nécessité de s’y rallier, qui le rend célèbre aussitôt.
Par l’entremise de Germaine, il est nommé fin 1799 au Tribunat, une assemblée législative qui siège au Palais-Royal et s’éteindra en 1807. Mais être lié à Mme de Staël et être « libéral », ce n’est pas mettre tous les atouts dans son jeu face à Bonaparte De plus, sans tarder, Benjamin se fait remarquer par ses prises de position pour les libertés et contre ce dernier, qui obtient en 1802 l’éviction de Constant du Tribunat en 1802.
Mme de Staël est chassée de Paris fin 1803 (son mari est décédé en mai 1802) et Constant prend également le chemin de la Suisse. Jusqu’à la chute de l’Empire en 1814, ces deux exilés partagent ou non leur exil, en fonction de l’humeur.
Benjamin aimerait bien épouser Germaine, mais une baronne n’épouse pas un parvenu.
En février 1802, il vend le domaine d’Hérivaux, trop coûteux à entretenir, et achète la propriété des Herbages, près de Saint-Martin-du-Tertre dans la forêt de Carnelle. « Un ruisseau, un bois, une prairie, une petite maison de paysans, voilà tout mon domaine ». En 1810, des pertes graves au jeu l’obligent à vendre la propriété dont il ne reste rien aujourd’hui (elle devait se situer entre la fontaine du Sure et le chemin du Christ).
Il attend 1815 pour être un « vrai » homme politique et être nommé au Conseil d’Etat
Toute sa vie, Constant est joueur. Il perd au jeu des sommes colossales. Et la politique est à ses yeux bien sûr une affaire de grands principes (Constant est – comme Chateaubriand – le grand défenseur des libertés), mais aussi de paris sur les hommes. Comment expliquer autrement, par exemple, qu’il mise tout sur Napoléon pendant les Cent jours en 1815, alors qu’il a passé les quinze années précédentes à le combattre ? En politique comme autour d’une table de jeu, son flair est identique : il perd.
En 1816, lorsque Louis XVIII réintègre ses quartiers après les Cent jours qui s’achèvent sur Waterloo, Constant s’exile à Londres, puis en Belgique. Il regagne Paris en décembre et s’engage dans la presse libérale.
En 1819, le voilà enfin élu député. Ses talents d’orateur égalent ceux de sa plume. Une conférence qu’il donne en 1819 sous le titre De la liberté des anciens comparée à celle des modernes contribue à fonder le libéralisme politique en France.
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Dumas, en suivant les obsèques de Constant en 1830, s’interroge : pourquoi le peuple le pleure-t-il comme un héros ? Constant était libéral, mais pas républicain. Le peuple lui doit peu (Constant était favorable au suffrage censitaire et non pas universel), si ce n’est la défense de la liberté de penser, de dire et d’écrire. Et peut-être, d’avoir été certes instable, ambitieux, pas toujours clairvoyant et souvent mené par les femmes, mais aussi passionné et, malgré tout, un penseur original. Bref, un vrai préromantique.
Autres demeures de l’auteur
Entre de nombreux séjours en Europe et à Coppet (où il croise Chateaubriand), Constant habite plusieurs adresses à Paris et en région parisienne :
– rue du Bac.
– 40 rue Neuve des Mathurins (rue des Mathurins).
– au château de Franconville, château majestueux et triste situé à Saint-Martin du Tertre dans le Val d’Oise et qui abrite aujourd’hui le centre médical Fernand-Besançon. Il y séjourne avec Mme de Staël.
– au château d’Acosta près de Meulan dans les Yvelines, où il passe l’hiver 1806-1807 toujours avec Germaine.
– 43 rue Neuve-Saint-Augustin (rue Saint-Augustin), à partir d’avril 1810.
– le 28 novembre 1814, en pleine passion pour Mme Récamier, il achète une belle maison à Paris, 6 rue Neuve de Berry (aujourd’hui rue de Berri).
Pour visiter le lieu
Le château d’Hérivaux ne se visite pas. Mais le voir dans son écrin de verdure vaut le détour.
À voir aux alentours
Présences littéraires proches :
– Dumas et Vigny à Valgenceuse,
– Daniel Boulanger et Louis Bromfield à Senlis,
– Bernanos et Martin du Gard à Clermont,
– Balzac et Carco à l’Isle-Adam,
– François Coppée à Auvers-sur-Oise,
– La Comtesse de Ségur à Méry-sur-Oise,
– Georges Duhamel à La Naze (Valmondois),
– Anna de Noailles à Epinay-Champlâtreux,
– Mauriac à Vémars.
Petite bibliographie
Les Cahiers Staëliens sont publiés par la Société des études staëliennes (contact : Simone Balayé, 44 rue Vaneau, 75007 Paris).
Les Annales Benjamin Constant, publiées par l’Institut Benjamin Constant.
Benjamin Constant ou la solitude aux champs, article de Marianne Berlinger dans Balade en Val d’Oise sur les pas des écrivains, Marie-Noëlle Craissati. Éditions Alexandrines.