Voltaire rebute parce qu’il est trop fort.
Trop fort d’abord pour Rousseau. Autant Rousseau est fragile, introverti, amoureux, naturel, pauvre, autant Voltaire est riche, paraît invincible, insensible, mondain. Voltaire a ses châteaux et ses marquises, Rousseau a son ermitage et sa Thérèse.
Trop fort pour le système politique et religieux de la France du XVIIIe siècle, dont il dénonce l’arbitraire, les lettres de cachet, l’obscurantisme religieux, et qui n’oppose à sa terrible ironie que la puissance d’un pouvoir qui va bientôt vaciller.
Quelques point à préciser tout de même, pour être sûr que l’on parle bien du même homme.
La Bastille, Voltaire connaît aussi bien que Diderot et les Encyclopédistes. Il y passe onze mois en 1717, accusé par erreur d’offense envers le Régent Philippe II d’Orléans. Comme Sade qui se mettra à l’écriture dans sa cellule de Vincennes, Voltaire conçoit sa première pièce – dipe – à l’ombre de la Bastille (il adopte son célèbre nom de plume en 1719). Cette tragédie est jouée quelques mois plus tard à la Comédie-Française.
Il est de retour dans les mêmes murs en 1726. Pour une remarque prise pour une injure, le Chevalier de Rohan l’a fait rosser devant l’hôtel du 62 rue Saint-Antoine. L’écrivain se met à l’escrime pour venger son honneur. Il n’en a pas le temps, car une lettre de cachet demandée par les Rohan le fait d’abord emprisonner à la Bastille puis s’exiler en Angleterre jusqu’en 1728 (il en profite pour découvrir là-bas que la liberté d’opinion est possible et existe).
Passé ces tristes expériences, il n’est pas pour autant à l’abri des menaces. Sa stratégie est faite : pouvoir écrire comme bon lui semble en vivant d’autres revenus (les droits d’auteurs n’existent pas encore) et faire publier à Amsterdam, La Haye ou Genève pour échapper à la censure royale.
Ses revenus ? Comme Beaumarchais, Voltaire est initié par ses amis banquiers à la finance et au commerce. Il investit en particulier dans des entreprises de fourniture de nourriture et munitions à l’armée française. Son séjour anglais l’a converti aux échanges internationaux, dans lesquels il investit également.
Son parcours géographique part des salons parisiens pour se fixer à partir de 1734 en différents endroits à l’étranger ou non loin d’une frontière, pour au cas où…
François-Marie Arouet est fils de notaire. Il naît à Paris en 1694. Ses premières années sont austères. Seul son parrain, un abbé, sort du cadre et l’abreuve de lecture, y compris des uvres censurées par le pouvoir. C’est ce parrain qui présente un jour François-Marie à Ninon de Lenclos, âgée alors de 88 ans.
Sa mère décède lorsqu’il a 7 ans. De 9 à 17 ans, il suit les cours du collège Louis-le-Grand. Là, il s’initie au théâtre et à la poésie, se lie à de futurs grands aristocrates et montre déjà sa grande ambition. En 1714, à vingt ans, on le retrouve clerc dans une étude rue des Grands-Degrés. Mais il prend plus de plaisir à fréquenter les salons littéraires. Après la mort de Louis XIV en 1715, il agrémente la cour de contes et de divertissements. Le Régent puis la reine lui accordent une pension.
En décembre 1731, il s’installe chez la baronne de Fontaine-Martel dans ce qui ne sera qu’en 1782 la rue de Valois (à hauteur du n°20). La Banque de France a depuis pris possession des lieux.
Voltaire a alors trente-huit ans, la baronne en a plus de soixante-dix. Leur plaisir commun est de recevoir et de faire jouer du théâtre, dont ses pièces à lui. Suite au décès de la baronne, il quitte en mai 1733 l’hôtel de la Fontaine-Martel qui avait également une entrée 29 rue des Bons-Enfants – partie de la rue disparue aujourd’hui, au profit encore de la Banque de France. Il habite rue de Brosse un peu plus tard dans l’année..
Parce qu’un imprimeur veut s’enrichir en publiant ses Lettres philosophiques (également appelées Lettres Anglaises, dont l’idée a germé six ans auparavant et qui sont rapidement visées par la censure), Voltaire doit fuir Paris pendant l’été 1734. Avec cette uvre, d’amuseur de cour, il est devenu philosophe « engagé ». À Cirey-sur-Blaise (Haute-Marne), il fait étape chez Mme du Châtelet, qu’il connaît depuis un an. Le château de Cirey, proche de la frontière avec la Lorraine alors indépendante, est un refuge idéal.
En fait, séduit par le lieu et la maîtresse du lieu, il s’y établit pour… quinze ans, jusqu’à la mort d’Émilie du Châtelet en 1749. L’arrangement est simple : il entretient le château et Émilie (qui, après quelque temps de vie parisienne, s’installe aussi à Cirey), et M. du Châtelet se consacre à d’autres maîtresses comme il est d’usage, sinon recommandé pour quelqu’un de son rang.
Émilie a de quoi charmer le philosophe. C’est Voltaire au féminin. Elle pratique à douze ans l’Allemand, le latin et le grec. Quatre heures de sommeil lui suffisent chaque nuit.
De Cirey, Voltaire effectue parfois des séjours à Paris, en particulier chez les Châtelet à l’hôtel Lambert (1-3 quai d’Anjou, entrée par le 2 rue Saint-Louis-en-L’Ile) en 1742, ou rue Molière (au niveau actuel des premiers numéros pairs ; à l’époque, au 43 rue Traversière) en 1746 puis en 1749-50.
Il est nommé historiographe du roi en 1745 et devient académicien l’année suivante. Mais il n’a pas pour autant la faveur de Louis XV, loin de là.
Entre 1750 et 1753, il est à Berlin. Son Histoire du docteur Akakia mécontente Maupertuis, président de l’Académie de Berlin, et Voltaire quitte la Prusse et la cour de Frédéric II, avec qui les relations étaient déjà électriques.
Etant toujours si peu attendu en France, malgré son désir de s’installer à nouveau à Paris, il achète une propriété à Montriond près de Lausanne, puis, début 1755, les Délices près de Genève. Il doit bientôt quitter la Suisse et obtient un bail à vie de la seigneurie de Tournay à Prigny, et enfin acquiert début 1759 le château de Ferney, à la frontière franco-suisse. Tout en aménageant les Délices et les terres de Tournay, il finance de nombreuses entreprises dans le village de Ferney, qui se transforme grandement sous son impulsion, devient l’incarnation de la petite métairie de Candide et une étape obligée pour tout voyageur éclairé de l’époque. On y voit encore aujourd’hui des bâtiments et des rues qu’il a fait construire.
A partir de 1756, il collabore à l’écriture de L’Encyclopédie. Un an plus tard, il conçoit Candide. En 1762, il défend Jean Calas, protestant exécuté pour avoir, dit-on, assassiné son fils pour l’empêcher de renier sa foi. Après trois ans de campagne, Calas est réhabilité.
Il ne revient à Paris qu’en 1778, alléguant le prétexte des répétitions de sa tragédie Irène qui doit être jouée à la Comédie-Française. Il s’installe 27 quai Voltaire (donnant également sur le 1 rue de Beaune), de février 1778 jusqu’à sa mort le 30 mai dans une chambre du second étage sur la cour (plaque).
Autres demeures de l’auteur
Au château de Saint-Ange, près de Moret-sur-Loing, Voltaire compose une partie de La Henriade.
Au château de Sceaux, il écrit Zadig.
À voir aux alentours
Non loin de Ferney-Voltaire :
– Mme de Staël à Coppet,
– Rousseau à Genève, Chambéry et aux Charmettes,
– Albert Cohen à Genève,
– Vladimir Nabokov à Montreux,
– Lamartine et Cendrars à Aix-les-Bains,
– Clavel à Lons-le-Saulnier,
– Vailland à Meillonas.