Marina TSVETAEVA à Lausanne, Paris, Meudon, Vanves et autres lieux

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« Ici [à Paris], je suis inutile, là-bas [en Russie], je suis impossible. »
Marina Tsvetaeva en 1932.

 

« Elle a cédé à la vieille tentation décadente de s’inventer des rôles ; elle était tour à tour le poète maudit et incompris, la mère et l’épouse, l’amante d’un jeune éphèbe, un personnage au passé glorieux, le barde d’une armée en déroute, une jeune disciple et une amie passionnée. […] Mais elle n’arrivait pas à se dominer, à se façonner, à se connaître. Elle cultivait même cette méconnaissance de soi. Elle était vulnérable, impulsive, malheureuse, et, au milieu de son « nid » familial, restait solitaire. Elle ne cessait de s’enthousiasmer, de se désenchanter et de se tromper. »
C’est moi qui souligne.
Nina Berberova.

Beaucoup n’auraient pas survécu à la vie qu’a connue Marina. Elle-même n’y survécut pas longtemps.

Des années d’enfance passées à accompagner une mourante, sa mère, qui emporte avec elle son rêve d’être musicienne ; la révolution de 1917 qui sépare Marina et ses deux enfants de Serge Efron, leur mari et père, les premières restant prisonnières dans un Moscou bolchévique et affamé, le second combattant aux côtés de l’Armée blanche ; leur fille cadette qui décède à trois ans ; des années de pauvreté sinon de misère dans la France des années 1920 et 30 ; une autre guerre mondiale qui vainct ses dernières résistances.

Un caractère instable, amer, d’écorchée vive qui jette des vers sur le papier pour survivre à chaque désastre familial, sentimental ou matériel.

Marina se suicide le 31 août 1941 à Elabouga près de Tchistopol.

Elle naît en 1892, sa soeur Anastassia (qui mourra à 99 ans en 1993 !) deux ans plus tard. Leur enfance se passe entre le 8 rue des Trois-Etangs (Triekhproudny) à Moscou (cette belle maison a été détruite après la révolution de 1917) et la maison de vacances de Taroussa, dans la région de Kalouga. Leur mère leur apprend à se dévouer à la musique. M. Tsvetaev ne leur apprend pas grand chose, obsédé (c’est un faible mot) qu’il est par son projet de créer un musée des Beaux-Arts à Moscou, qui deviendra le musée Pouchkine.

Dès qu’elle sait écrire, Marina s’amuse à faire des rimes.
Mme Tsvetaeva est tuberculeuse. Ses soins mènent tantôt la famille, tantôt Marina et Anastassia seules, à Nervi, en Italie, puis, en 1903, au pensionnat du 3 boulevard de Grancy à Lausanne, puis à Chamonix et Argentière, puis à l’hôtel Zum Engel à Langackern en Forêt Noire, puis au pensionnat du 10 de la Wallstrasse à Fribourg (Mme Tsvetaeva loge alors dans une chambre au 2 Marienstrasse), puis à Yalta en 1905. Mme Tsvetaeva décède un an plus tard, son mari en 1913.

Sur un coup de tête, Marina décide de visiter Paris en 1909. Son héros est alors Napoléon, et elle cherche à se loger dans une rue Napoléon… introuvable dans la capitale. Faute de mieux, elle trouve une chambre rue Bonaparte ! Elle suit des cours à l’Alliance française et assiste à plusieurs représentations de L’Aiglon avec Sarah Bernhardt.

En 1914, Marina et Serge, épousé un an plus tôt, s’installent 6 rue Boris-et-Gleb à Moscou. Un an plus tard, Serge part au front. Marina continue d’écrire et se lie en particulier avec Ossip Mandelstam. Puis les bolchéviques prennent le pouvoir, avec la bénédiction des poètes de l’époque : Blok, Maïakovski, Biély, Brioussov… mais pas de Marina ni de Serge.

En juillet 1921, Boris Pasternak lui apporte un jour une nouvelle transmise par Ilya Ehrenbourg (qui a obtenu un passeport pour l’étranger) : son mari est vivant et réside à Prague. Marina entretiendra avec Pasternak une correspondance passionnée, désolée de voir en 1923 qu’il choisit la vie en URSS de préférence à l’exil.

Grâce à l’assouplissement du régime au moment de la Nouvelle Politique Economique (NEP) – et sans doute aussi grâce au désir du pouvoir d’éloigner les intellectuels – elle obtient en 1922 un passeport pour l’étranger ! Ehrenbourg lui trouve une chambre dans la pension de famille où il demeure avec sa femme à Berlin, 9 Trautenaustrasse. Comme Nina Berberova et de nombreux autres qui suivent un parcours identique à cette époque, Marina s’installe à Prague, fréquentant le café Slavia et les quais de la Vltava, puis à Mokropsy, non loin, puis 1373 rue Svedska en 1923, puis à Vsénory près de Prague. Vivre en Tchécoslovaquie est pour ces exilés une façon de considérer leur exil temporaire.

Les années 20 voient les poèmes de Marina rencontrer la faveur du public (cela avait commencé avant son départ d’URSS). Mais sa situation matérielle ne s’améliore pas pour autant. Elle nourrit sa famille grâce à quelques articles pour les journaux. Serge Efron étudie à l’université. Il est l’ombre de lui-même, indifférent aux aventures sentimentales de sa femme. Ils rencontrent des russes de passage à Prague : Nina Berberova, Nabokov, Bounine, Gorki, etc. En 1925, ses écrits fâchent le régime soviétique, qui la met au banc. A la fin de cette année, épuisée par la vie difficile en Tchécoslovaquie, elle met le cap sur Paris après avoir donné naissance à un fils (elle publiera très peu après 1925 et attendra les années 1960 pour être reconnue comme une des grandes poétesses russes).

La famille (Serge reste à Prague) emménage rue Rouvet. La vie est toujours aussi dure. Mais les émigrés russes et les cafés sont là, comme à Prague. Ici, ils s’appelent La Rotonde, La Coupole, Le Dôme, le Select, le Napoli… Dans le dénuement et l’attente plus ou moins consciente d’un retour au pays, la plupart des russes ne se mêlent pas aux français, à la culture française et aux autres étrangers. Le 6 février 1926, Marina fait une lecture très réussie de ses poèmes 79 rue Denfert.

En 1926, elle séjourne en Vendée, à Saint-Gilles-Croix-de-Vie. De là-bas, elle participe avec Pasternak et Rilke à une correspondance à trois dans laquelle chacun admire l’autre : Rilke, reclus en Suisse, tuberculeux et à quelques semaines de sa mort, Pasternak étouffé par le régime soviétique.

Automne 1926 : c’est l’installation 31 boulevard de Verdun, à Bellevue près de Meudon. Puis, bientôt, 2 avenue Jeanne d’Arc à Meudon. Les émigrés russes, lorsqu’ils ne critiquent pas la complexité de sa poésie, accusent Marina et Serge d’être à la solde des bolchéviques. Lénine est mort en janvier 1924. Cette même année, la reconnaissance officielle de l’URSS par le gouvernement Herriot a coupé les émigrés de leur légitimité et avivé les antagonismes. A cela s’ajoute, pour les poètes et écrivains exilés, la souffrance de n’être pas lus par la majorité de leurs compatriotes.

Marina rend visite à son ancienne amie Gala, devenue Madame Paul Éluard. Elle rencontre aussi Ilya Erhenbourg, devenu correspondant parisien d’un journal soviétique et visite Natalie Barney dans son salon du 20 rue Jacob.

Serge part soigner sa tuberculose au sanatorium de Saint-Pierre-de-Rumilly, en Haute-Savoie.

Pour économiser encore sur le loyer, la famille s’installe en 1932 101 rue Condorcet à Clamart, puis 33 rue Jean-Baptiste-Potin à Vanves en 1934. C’est à cette époque que l’ordinaire quotidien s’améliore… Serge ayant été recruté par la police secrète soviétique pour participer à des attentats contre des opposants anti-staliniens.

Le Congrès international des écrivains en juin 1935 au Palais de la Mutualité est pour Marina l’occasion de revoir brièvement Boris Pasternak. Rencontre très décevante, Pasternak, déprimé et mal à l’aise, étant venu participer en catastrophe à ce congrès sur l’ordre de Staline. L’émotion d’hier n’est plus là, ni d’un côté ni de l’autre. Il lui conseille de ne pas retourner en Russie.

« Au cours de l’été 1935, Marina Tsvetaeva et son fils Mour logent à La Favière [à Bormes-les-mimosas] dans une chambre mansardée dans la villa de la baronne Ludmilla de Wrangel, maison rachetée en 1937 par Alexis Frank, danseur des Ballets russes de Monte-Carlo qui la baptisera “Le Coq d’Or” en souvenir de Rimski-Korsakov » (extrait du catalogue de l’exposition « Les Russes de la Favière » publié en 2004 par le réseau Lalan).

Le 15 février 1936, Marina participe à une soirée poétique donnée 12 rue de Buci, au siège de l’Union pour le retour dans la patrie, organisation financée par l’ambassade d’URSS à Paris. Sa fille Ariadna regagne l’URSS en 1937, bientôt suivie par son père qui échappe ainsi à la police française.

Marina et son fils louent en 1938 une triste chambre de l’hôtel Innova, qui existe encore 32 boulevard Pasteur. En juin 1939, n’y tenant plus, ils rentrent eux-aussi en Union soviétique. La même errance reprend, cette fois avec moins d’illusions car marina comprend vite que la guerre et le régime lui interdisent d’espérer. Leurs adresses : Bolchevo, près de Moscou, avec Serge, puis le bourg de Golitsyno après l’arrestation d’Ariadna et de Serge, puis 6 rue Herzen à Moscou, puis 16 rue Merzliakovski, puis 14-5 boulevard Pokrovski.

A visiter
Une maison-musée existe à Taroussa. C’est la maison d’Ariadna, et non la maison d’enfance de Marina, qui a été détruite.
A Moscou, l’appartement de la rue Boris-et-Gleb est ouvert au public. L’ameublement en a été reconstitué d’après les souvenirs d’Anastassia.

Petite bibliographie
Marina Tsvetaeva, l’éternelle insurgée. Henri Troyat. Livre de poche n°15578.
Souvenirs. Anastassia Tsvetaeva. Actes Sud/Solin.
Marina bien aînée. Article de Jean-Pierre Thibaudat, dans le supplément livres de Libération, 24 avril 2003.

Le Dôme.
Le Dôme.
Le 3 bd de Grancy à Lausanne