Nina BERBEROVA

Le Pretty Hotel, 8 rue Amélie, devenu Les Jardins d'Eiffel
Le Pretty Hotel, 8 rue Amélie, devenu Les Jardins d’Eiffel

« Paris n’est pas une ville, mais une image, le symbole de la France, son présent et son passé, le reflet de son histoire, de sa géographie et de son âme. Cette ville est plus riche de significations que Londres, Madrid, Stockholm ou Moscou, sûrement aussi riche que Pétersbourg, New York ou Rome. Il est impossible d’y vivre sans tenir compte de cette dimension, en se calfeutrant et s’en s’enfermant chez soi. Elle entrera de toute façon dans notre maison, notre chambre, en nous-mêmes. »

« Rien n’est écrit d’avance, c’est nous qui créons l’avenir. »

Comparée à la fragilité d’une Marina Tsvetaeva (née en 1892), la résistance d’une Nina Berberova étonne. Différence de sang ? Est-ce la guerre de 1914 et la révolution, qui ont détruit l’une et auxquelles l’autre a relativement mieux survécu ? Est-ce le tempérament de la seconde, qui se nourrit du sol sur lequel elle se trouve, tant qu’elle s’y trouve, sans jamais prendre racine ?

Pour elle, pas de mari, pas d’enfants, pas de maison. Nina ne possède « ni « tombes ancestrales » ni « foyer sacré » pour [la] soutenir dans la détresse. [Elle appartient] à cette catégorie de personnes pour qui la maison natale n’est pas le symbole d’une vie heureuse et sûre, et qui ressentent de la joie à la voir disparaître. » Ce détachement peut être une faiblesse, mais il devient une force lorsque l’on est émigré russe après 1917. L’éloignement de la terre et du peuple russes ont moins miné Nina Berberova que Marina Tsvetaeva qui, tout en considérant que la Russie était là où l’on perpétuait sa culture (et donc donc se trouvait autant à Paris qu’à Moscou), n’a pas pu « couper les ponts », jusqu’à, entraînée par sa fille, son mari et son fils, y retourner pour sa perte.

Pour connaître Nina Berberova, pour connaître le XXe siècle et certainement pour se connaître soi-même, il faut lire le passionnant C’est moi qui souligne (collection J’ai lu n°3190), dont chaque page pourrait donner lieu à citation.

– Nina est née en 1901 à Saint-Pétersbourg, rue Bolchaïa Morskaïa, devenue rue Herzen (Nabokov naît en 1899 dans cette même rue), d’une mère russe et d’un père arménien. La famille habite ensuite 6 rue Joukovski, qui donne sur le n°7 où vit la famille Brik (dont Lili et Elsa, future Mme Triolet) et, pendant un moment, Maïakovski.
– Elle effectue un voyage en Europe pendant l’été 1914, séjournant alors en particulier à Vichy et à Paris, au Grand Hôtel.
– Nina écrit des vers. Au printemps 1915, elle assiste à une soirée littéraire au Cercle de l’Armée et de la Marine, avenue Liteïny à Saint-Pétersbourg, où elle est présentée par son professeur de français à Anna Akhmatova et à Alexandre Blok.
– En 1919-1920, elle étudie à Rostov sur le Don.
– Elle rencontre en 1921 le poète Vladislav Khodassevitch, qui loge à Saint-Pétersbourg au foyer de la Maison des Arts, à l’angle de la perspective Nevski et du canal Moïka (ouverte en 1919, elle fut fermée en 1922) avec, parmi ses voisins, Ossip Mandelstam. Encore quelques semaines de vie pétersbourgeoise entre les cafés, la Maison des Ecrivains, rue Basseïnaïa (qui ferme bientôt en 1922), l’Union des poètes (dans la maison Mourouzi, avenue Liteïny), et c’est l’exil en mai 1922. La Révolution a commencé la chasse aux intellectuels. Le futurisme, dont un chantre est Maïakovski, succède au symbolisme et ouvre la voix à la mainmise de l’Etat sur la poésie et la littérature. La doctrine officielle deviendra en 1932 celle du « réalisme socialiste ».
– La vie quotidienne devenant misérable et l’avenir de plus en plus sombre, Khodassevitch et Nina quittent l’URSS en mai 1922 pour Berlin. Ils s’installent dans la pension Krampe qui donne sur la place Victoria-Louise. Berlin est l’étape obligée des émigrés russes de l’époque, dont certains se retrouvent au café Landgraf en 1922-23. Quelques uns choisiront le retour dans la patrie (André Biély, Pasternak…), d’autres non, comme la « femme de Khodassevitch » et son « mari ».
– Ils passent l’hiver 1922 au Bahnhof Hotel à Saarow près de Berlin, près de la maison de Gorki, l’emblème de la littérature russe et bientôt du réalisme socialiste, assez fort cependant pour résister à Staline. Le début des années 1920 est une période très féconde pour Gorki. Entre 1924 et son retour définitif en URSS en 1933, il vit à Sorrente. Nina et Khodassevitch le visitent de l’automne 1924 à avril 1925. Pendant plusieurs années, Gorki échange avec Romain Rolland une correspondance en français… parfois aidé dans ses traductions par Nina. N’ayant plus les moyens de vivre à Berlin, le couple a migré vers Prague en novembre 1923.
– Puis c’est destination Paris en avril 1925. Khodassevitch y vivra jusqu’à sa mort en 1939 et Nina jusqu’en 1950, époque à laquelle elle s’envole pour les Etats-Unis. En 1925, ils louent une chambre dans le Pretty Hôtel, rue Amélie. Là, il reçoivent leur « passeport Nansen », qui accorde un statut égal aux personnes apatrides mais ne permet de travailler qu’à son compte. L’angoisse de la survie quotidienne et l’humiliation sont leur lot quotidien. Voir ses amis disparaître, ses écrits refusés et critiqués, devoir se méfier même de ses proches… Quelques piges pour des journaux russes, quelques aides et des travaux de couture ou d’enfilage de perles leur permettent de survivre. A l’hôtel d’Istria rue Campagne-Première, Elsa Triolet fait de même, avec plus de réussite semble-t-il.
– En 1926, Nina et Vladislav emménagent dans leur premier (et pauvre) appartement près de la place Daumesnil, rue Lamblardie. La Rotonde, le Select, la Coupole, le Naples, sont, à Montparnasse le soir, le centre de ralliement des expatriés russes. « Il nous arrivait de passer des soirées entières devant une unique tasse de café crème », écrit-elle. Ils participent à des lectures poétiques à l’Union des jeunes poètes, 79 rue Denfert-Rochereau, au bal de la presse russe pour les écrivains nécessiteux à l’hôtel Lutétia, à l’occasion du nouvel an russe le 13 janvier 1928.
– Ils séjournent au Cannet dans les Alpes maritimes en 1927, puis à Thorenc près de Grasse l’année suivante.
– A la fin des années 1920, un petit groupe constitué de Berberova, Khodassevitch, Vladimir Nabokov et quelques autres se retrouve dans des cafés de Montparnasse, de la porte de Saint-Cloud ou de la porte d’Auteuil (en particulier les Trois obus). Nabokov lit à plusieurs reprises ses œuvres dans la salle Las-Cases, dans la rue du même nom. Les années 20 voient Nina passer de la poésie à la prose. A partir des années 30, elle s’épanouit dans la nouvelle. La vie des russes de Paris inspire ses récits Les Derniers et les Premiers (1930), L’Accompagnatrice, (1935)[[Qui attendra le milieu des années 1980 pour connaître le succès en France.]], etc.
– Lorsqu’elle se sépare de Khodassevitch, elle loge au 6e étage de l’hôtel des Ministères, boulevard de la Tour-Maubourg en 1932.
– Elle voit pour la dernière fois Marina Tsvetaeva le 31 octobre 1937 dans l’église russe du 39 rue François-Gérard. A l’époque, Marina est une pestiférée aux yeux des russes de Paris : son mari et elle sont soupçonnés d’agir en sous-main pour les services secrets soviétiques.
– Nina habite rue Beethoven avant d’acheter en 1938 une maison dans le hameau de Longchêne dans les Yvelines, qu’elle vendra en 1948 ; c’est là qu’elle passe les années d’occupation. Pendant l’été 1948, elle séjourne à Mougins.
– En 1950, déçue par la vie intellectuelle française de l’après-guerre, elle s’installe définitivement aux Etats-Unis.

3 Comments

Ajoutez les vôtres
  1. 1
    Anonyme

    > Nina BERBEROVA
    Dans ses mémoires, ou l’un de ses écrits, Nina Berberova aurait cité le poète Boris Bojnev. Nous préparons une exposition sur ce poète méconnu -1898 né à St Pétersbourg, mort en 1969 à Marseille, et devenu un peintre très original et singulier, dont nous possédons une collection d’oeuvres. Merci pour votre aide précieuse qui aiderait à situer l’artiste.
    Eloïse Gonzalez, musée de Forcalquier.

    • 2
      Bruno Montpied

      > Nina BERBEROVA
      A Mme Elise Gonzalez,
      Bonjour, auteur d’un article sur Boris Bojnev dans un n° ancien du magazine Artension, en 1989, intitulé « L’art pour l’art, Boris Bojnev », et publié en compagnie d’un texte sur Boris Bojnev poète, dû à mon ami Régis Gayraud, je viens à vous pour vous féliciter d’avoir relancé l’information au sujet de ce créateur insolite. Régis Gayraud, récemment de passage à Forcalquier, m’a parlé de l’exposition que vous avez montée cet été. Bravo. Je suis très heureux d’apprendre que le Centre d’art contemporain Boris Bojnev continue d’exister. Car je n’avais plus d’informations sur la suite donnée à la diffusion des oeuvres rassemblées par Lucien Henry, que j’ai un peu connu, malheureusement trop peu de temps puisque ce fut juste avant sa disparition tragique. (J’ai écrit deux articles sur Lucien Henry, dans un autre numéro d’Artension, et dans un numéro du Bulletin de l’Association des Amis d’Ozenda du Dr.Caire que vous connaissez sûrement). Je possède également un dessin aux crayons de couleur de Boris Bojnev. Je m’intéresse beaucoup aux « auras » de ce dernier et particulièrement à la relation qu’il entretenait avec l’art naïf anonyme.
      Avec mes salutations cordiales,
      Bruno Montpied

  2. 3
    COTTARD catherine

    Nina BERBEROVA
    Le retour des archives de l’immigration russe en France restituées par les Russes et qui se trouvent à Fontainebleau ( archives nationales ) permettra sûrement d’éclairer l’environnement de Nina Berberova, celui d’un anti-communisme viscéral et celui de la pénétration de l’immigration par les services soviétiques, jouant sur les difficultés quotidiennes de chacun. Il existe quelques erreurs : vous ne dites rien sur son second mariage qui est important car il amène une certaine stabilité financière.Le personnage demeure très secret, néanmoins…

Les commentaires sont clos.