Les trois périodes qui marquent la presse de ces années sont :
– celle qui s’étend jusqu’à juin 1940, moment où la presse parisienne quitte la capitale pour renaître ailleurs ou s’éteindre pendant les années d’Occupation,
– les années 1940-1944, pendant lesquelles se développent les journaux officiels, censurés ou contrôlés entièrement par les Allemands, et la presse clandestine de la Résistance,
– la période postérieure à août 1944, qui voit renaître des quotidiens qui s’étaient tus pendant la guerre et paraître au grand jour les journaux créés par la Résistance. À la Libération, treize quotidiens sont ainsi autorisés à sortir : les communistes L’Humanité, Front national, Ce Soir, le socialiste Le Populaire, le MRP L’Aube, Le Figaro, et les enfants de la Résistance : Défense de la France (futur France-Soir), L’homme libre, Franc-Tireur, Libération et Combat. Deux grandes voies dominent la presse renaissante : Mauriac et Camus, retrouvant son métier de journaliste de l’Alger républicain. Sartre n’a pas encore lancé Les Temps modernes, et Malraux est encore militaire.
La balade qui suit se déploie autour de la rue du Louvre et des grands boulevards, centre hier comme aujourd’hui de la grande presse quotidienne.
0) La France socialiste paraît sous l’Occupation. Ses bureaux se trouvent 30 rue de Gramont.
1) Autre journal de la Collaboration, La Gerbe est installée 23 rue Chauchat en 1942 (puis 3 rue des Pyramides en 1943). Tout aussi peu recommandable, Je suis partout, dirigé par Robert Brasillach, s’est établi 11 rue Marguerin dans le 14e arrondissement. Il est situé en dehors du parcours de notre balade.
2) Le Figaro, dont la rédaction se trouve 21 boulevard Montmartre, reparaît dès le 25 août 1944 (il s’était sabordé en 1942). Sans attendre, Mauriac y appelle à la modération dans la chasse aux collaborateurs. Les journalistes le surnomment « Saint-François des Assises ». Paulhan se joint bientôt à lui en plaidant le droit à l’erreur pour les intellectuels. Outre Mauriac, d’autres belles signatures fleurissent dans le journal : Duhamel, Sartre, Schlumberger, Julien Green, André Billy…
3) Créé en 1892, Le Journal tire à un million d’exemplaires en 1914 et rivalise avec Le Matin, Le Petit Journal et Le Petit Parisien. Sa diffusion décline peu à peu devant la concurrence de Paris-Soir. S’il est hostile à la gauche, Le Journal ne verse pas pour autant dans l’extrême droite. Il approuve l’accord de Munich en 1938. son adresse est le 100 rue de Richelieu au moment où il se replie en zone libre (à Limoges, Lyon et Marseille) en juin 1940. Il continue de paraître sous l’Occupation et ne poursuivra pas après la Libération. Ses archives photographiques sont léguées à L’Aurore dont les bureaux se trouvent non loin, 9 rue Louis-le-Grand.
4) L’imprimerie de L’Aube se trouve 20 rue Saint-Marc après la Libération. La rédaction du journal – auquel collabore Maurice Schumann – est située 49 avenue de l’Opéra.
5) Colette emménage à nouveau 9 rue de Beaujolais en 1938 – cette fois, au 1er étage, dont les fenêtres donnent, de l’autre côté, sur les jardins du Palais Royal (un C entrecroisé d’un soleil est aujourd’hui gravé au balcon de sa chambre). Elle vit ici jusqu’à sa mort en 1954. Colette se fait discrète dans son appartement du 9 rue de Beaujolais. Maurice Goudeket, son mari, est juif. Il est arrêté en décembre 1941 et relâché en février 1942. Elle écrit ses chroniques pour Le Petit parisien et un recueil de nouvelles, Gigi.
6) En 1940, Jean Cocteau vit à l’hôtel du Beaujolais, 15 rue de Beaujolais (qui n’existe plus), puis 36 rue de Montpensier à partir de 1941. Ses occupations ? Écrire, faire jouer son théâtre, supporter la guerre par la vie mondaine. Des années 1910 aux années 1930, cet hôtel était une halte favorite de Stefan Zweig.
7) Emmanuel Berl, le directeur de Marianne lancé en 1932 par Gallimard, habite au 3e étage du 36 rue de Montpensier. Marianne est un journal artistique et politique orienté à gauche, très influent pendant les années trente. Devant son succès limité (60 000 exemplaires), Marianne est vendue par Gallimard en 1937. Le journal se dépolitise. Il cesse définitivement en août 1940. Berl quitte Marianne en 1937. Ancien soldat de 1914, il s’engage pour l’accord de Munich en 1938 et signe en juin 1940 les premiers discours de Pétain. Dès août, il s’éloigne du régime de Vichy et s’installe en Corrèze.
Au 1er étage du 36 rue de Montpensier emménage fin 1937 Pierre Lazareff, qui préside aux destinées de Paris-Soir et aimerait bien attirer Colette dans son journal. Lazareff quitte la capitale puis la France pour les Etats-Unis en juin 1940.
8) La revue clandestine Les Lettres françaises n’a bien sûr pas d’adresse officielle sous l’Occupation. S’il faut lui en attribuer une, ce pourrait être, outre le bureau de Jean Paulhan 5 rue Sébastien Bottin, celui de Claude Morgan au musée du Louvre. Le premier numéro des Lettres françaises est mort-né en février 1942 suite à l’arrestation de Jacques Decour (fusillé avec Georges Politzer au Mont-Valérien le 20 mai 1942), Danielle Casanova et d’autres. Le premier numéro publié (en septembre 1942) est coordonné par Claude Morgan. Bientôt, les Lettres françaises prennent du volume et sont imprimées sur les presses du Paris-Soir de la collaboration, grâce à la discrétion des typographes !
9) Les rédactions de Paris-Soir et de Paris-Midi se trouvent 37 rue du Louvre jusqu’en juin 1940. Paris-Soir, le plus gros quotidien français, est toujours du côté du pouvoir, quel qu’il soit et même lorsqu’il change de main. Il paraît à deux millions d’exemplaires dans les années trente et compte alors les signatures de Vailland, Cendrars, Joseph Peyré, Carco, Kessel, Jean Prévost, Saint-Exupéry, Cocteau, etc. Le reportage est pour eux un moyen de tremper leur plume dans la vraie vie, de s’engager dans les tourmentes de l’époque. En 1936 par exemple, Cendrars y publie une série d’articles sur les gangsters de la Maffia, et Cocteau un tour du monde sur les traces de Jules Verne. Au printemps 1940, Camus y est secrétaire de rédaction ainsi que son ami Pascal Pia. Ils y croisent Kessel, Vailland. Le 10 juin, le gouvernement conseille à la presse de quitter la ville. Seul Paris-Soir paraît encore les 11 et 12 juin, puis quitte la capitale. Depuis l’offensive de l’armée allemande début mai, la censure militaire française n’a pas vraiment permis au journal de rendre compte de l’évolution du conflit, malgré la ténacité de Kessel qui se rend tout de même sur le front. Jean Prouvost, propriétaire-directeur des deux journaux ainsi que de Marie-Claire et Match, entre comme ministre de l’Information dans le gouvernement formé le 6 juin et, véritable girouette politique, est bientôt haut-commissaire à l’Information du gouvernement de Vichy.
Paris-Soir est réactivé à Paris par les allemands après juin 1940, en même temps que le vrai Paris-Soir continue de paraître à Lyon jusqu’à son interdiction par Vichy en mai 1943 ! Paris-Midi continue sous l’Occupation. Parmi ses collaborateurs : Céline.
À la Libération, le 37 rue du Louvre est occupé par les rédactions de Ce Soir, le journal d’Aragon ressuscité, Libération et Front national, trois quotidiens d’extrême gauche.
10) L’Intransigeant occupe jusqu’à la guerre l’immeuble du 100 rue de Réaumur, construit pour lui par Léon Bailby sur l’emplacement de la cour des miracles. Lui succèdent ici le Pariser Zeitung, puis Défense de la France (quarante-sept numéros clandestins entre 1941 et 1944), Combat (avec Camus, Pia, Pierre Herbart) et Franc-Tireur à la Libération.
En février 1934, c’est à L’Intransigeant que Malraux vend son expédition-reportage sur le royaume de la reine de Saba… qu’il ne découvre pas. Quant à Défense de la France, il devient France-Soir le 8 novembre 1944, avec le retour de Pierre Lazareff aux commandes.
11) Révolution nationale a ses bureaux 16 rue du Croissant pendant l’Occupation. Cet hebdomadaire dirigé par Lucien Combelle est proche du Rassemblement national populaire (RNP) de Marcel Déat. Céline, Drieu la Rochelle et d’autres y apportent leurs signatures.
12) Le Matin a ses bureaux 6 boulevard Poissonnière. Un des principauxs quotidiens à continuer sous la censure allemande, avec entre autres la plume de Montherlant.
13) Le Petit parisien se trouve 16-22 rue d’Enghien. Il continue de paraître sous l’Occupation, avec un tirage de 500 000 exemplaires en 1943 et les plumes de Pierre Benoit, Sacha Guitry, Jean de La Varende, etc. Albert Londres – un des rares grands reporters à choisir lui-même ses sujets – y publiait ses grands reportages dans les années vingt. Pendant la guerre, Simenon y fait paraître ses romans en feuilletons. Le parisien libéré lui succède à la Libération.
14) Au milieu des années trente, Simenon écrit également pour L’Excelsior, filiale du Petit Parisien basée 20 rue d’Enghien et qui cesse de paraître après juin 1940. Entre 1932 et 1936, le chef de l’information de L’Exclesior se nomme… Philippe Soupault !
15) Le Petit Journal est né en 1863. Ses bureaux se trouvent 61 rue Lafayette et 21 rue Cadet et il est imprimé en partie par l’imprimerie Schiller, 10 et 11 rue du faubourg Montmartre. Il est vendu au Parti social français du colonel de La Rocque en 1937 et se replie à Clermont-Ferrand en 1940, où il survit jusqu’à sa fin en 1944.
16) Nous croisons au passage Boris Vian, sorti diplômé de l’école Centrale en 1942. Il se marie et s’installe cette même année 98 rue du Faubourg-Poissonnière. Son autre port d’attache jusqu’à 1944 est aussi la maison familiale de Ville d’Avray, 33 rue Pradier. Sa résistance à lui, c’est de jouer du jazz américain (alors interdit) et d’écrire.
17) Le journal socialiste Le Populaire occupe l’immeuble du 9 rue Victor Massé dans les années trente. Un de ses journalistes s’appelle Léon Blum.
Petite bibliographie
L’Ecrivain-reporter au coeur des années trente. Myriam Boucharenc. Presses universitaires du Septentrion.