Kessel est, parmi les écrivains de sa génération, un de ceux qui mêlent le plus littérature et reportage.
Il est envoyé dès 1920 – par le quotidien La Liberté – enquêter sur les révolutionnaires irlandais. Alors que L’Équipage le situe en 1923 au premier rang du paysage romanesque français, sa série d’articles sur la Syrie et la Palestine pour le compte du Journal en fait aussi un des « grands reporters » les plus appréciés du public. Il devient expert dans l’art de recycler ses reportages dans les trames de ses romans.
Après avoir assuré la direction littéraire de Gringoire et tout en collaborant à Détective dirigé par son frère Georges, il réalise début 1930 le grand reportage sans doute le plus coûteux de l’entre-deux-guerres. Pour le compte du Matin, Kessel part en expédition entre janvier et avril, accompagnés par Henry de Monfreid[[Qui, poussé par Kessel, publie en 1932 Les Secrets de la mer Rouge.]], le médecin militaite Émile Peyré (frère de l’écrivain Joseph) et deux autres compagnons, sur la trace des esclaves d’Éthiopie. Le reportage sur les Marchés d’esclaves est publié en vingt articles à partir du 26 mai 1930. Les ventes du Matin augmentent de 150 000 exemplaires.
Il attend 1933 pour publier Marchés d’esclaves en librairie. Le livre intègre d’autres articles parus fin 1930 dans Le Matin sur le Yémen et la reine de Saba. Quelques semaines plus tard, André Malraux s’envole avec Corniglion-Molinier à la recherche de ce royaume fabuleux, pour les beaux yeux des lecteurs de L’Intransigeant[[Les articles de Malraux paraissent en mai 1934.]].
Correspondant de guerre en juin 1940 pour Paris-Soir, Kessel parvient à se rendre sur le front près de Rethel le 13 mai 1940. Il rapporte ce qu’il a vu à Pierre Lazareff, directeur de la rédaction du quotidien, qui le mène à Jean Prouvost, patron de Paris-Soir et tout nouveau ministre de l’Information, qui le mène à son tour au président du Conseil, Paul Reynaud ! Grâce à ce dernier, l’article de Kessel paraît sans être visé par la censure militaire.
Celle-ci le tient désormais à l’il. Le temps d’une halte à son domicile du 15 boulevard Lannes, il obtient tout de même, grâce à ses relations à l’état-major de la Marine, l’autorisation de gagner par la mer Dunkerque assiégé, d’où les Anglais s’échappent depuis le 28 mai. Le 2 juin, l’armée française (dont le soldat Louis Aragon) est autorisée à embarquer elle aussi. Le 4, les Allemands investissent la ville. Kessel fait passer in extremis son article dans Paris-Soir. C’est le dernier reportage de guerre publié par le journal avant qu’il ne quitte Paris.
Fin juin, Kessel s’exile pour deux mois au Portugal. Il regagne la France en septembre avec l’intention de rejoindre la rédaction de Paris-Soir à Marseille. Sa curiosité le pousse à visiter Vichy. Fin septembre, la « liste Otto » des livres interdits mentionne ses uvres. Le 3 octobre, la loi sur le statut des Juifs lui interdit de pratiquer le journalisme.
Il s’installe début novembre dans une maison à Anthéor, près d’Agay non loin de Fréjus. À la fin de l’année, il monte clandestinement à Paris. En février 1941, il termine le premier roman écrit à la gloire de la Résistance, Les Maudru. Prévenu par la Résistance que le viaduc d’Anthéor serait une cible prochaine de bombardements anglais, Kessel s’installe dans la villa Maritana à Agay (la maison d’Anthéor est effectivement détruite par les bombes peu de temps après).
Fin 1941, il entre dans la résistance active sous le nom de Joseph Pascal. Sa compagne Germaine Sablon l’avait fait avant lui sans le prévenir.
En septembre 1942, Georges et Joseph Kessel figurent à l’exposition « Le Juif et la France » organisée au Palais Berlitz. L’invasion proche de la zone Sud le pousse à quitter la France. Un membre du cabinet Laval lui obtient des passeports qu’il refuse. Il passe clandestinement la frontière espagnole le 24 décembre 1942 (au moment où est exécuté l’amiral Darlan à Alger), puis le Portugal, puis Londres en janvier 1943.
Là, il collabore bientôt au quotidien France et se lance dans l’écriture de L’Armée des ombres. Là encore, il conçoit son roman à la manière d’un reporter, rassemblant des « histoires vraies » auprès de résistants.
Il déménage du Ritz au 14 Pall Mall, suit de Gaulle à Alger en mai 1943 puis revient à Londres. Il participe au printemps 1944 à des missions d’observation aérienne.
Petite bibliographie
Lazareff. Yves Courrière, éditions Gallimard.
Joseph Kessel ou sur la piste du lion. Yves Courrière. Plon.
L’écrivain-reporter au coeur des années trente. Myriam Boucharenc. Presses universitaires du Septentrion, 2004.