Le Café de Madrid

Alfred Delvau, le subtil chroniqueur des bons et mauvais lieux de Paris, écrira :
Le café de Madrid est le Procope du XIX° siècle (…) [C’]est le chef-lieu du Landernau, la ville spéciale des potins artistiques et littéraires (tous ces aimables popoteurs du café de Madrid colportent tous les potins, toutes les médisances que chaque matin voit éclore dans leur Landernau.


Par Bernard Vassor, auteur du blog http://bernardvassor.canalblog.com.

L'heure de l'absinthe sur les boulevards.
L’heure de l’absinthe sur les boulevards.

Ce fut d’abord un établissement modeste où les flâneurs venaient se reposer ou se désaltérer, situé entre un marchand de couleurs et la galerie Vibert (et Goupil).

Après le percement du passage Jouffroy, le café va prendre de plus en plus d’importance. Les rédacteurs et ouvriers des journaux voisins vont se retrouver, entre midi et quatre heures, pour refaire le monde. Les habitués de ces réunions, Hebrard gérant du journal Le Temps, Arthur Ranc qui sera un temps maire du IX° arrondissement, le jeune avocat Gambetta, Delescluse du journal Le Réveil, et ses collaborateurs Razoua, Quentin, François Favre manquaient rarement l’heure de l’absinthe. Quand Gambetta était là, il gesticulait et criait comme un possédé lorsqu’un contradicteur soulevait des objections à ses propos.

Léon Gambetta.
Léon Gambetta.

On voyait souvent attablés dans la salle du fond, les frères de Fontvielle, le secrétaire du Figaro et Emile Cardon. Paul Delvau (encore lui) et Alphonse Duchesne s’y retrouvaient en compagnie d’acteurs des « Variétés », Manuel, Albert Brasseur (l’ancêtre de Claude).

Hector de Callias, le mari alcoolique de Nina de Villard, y rédigeait ses chroniques musicales du Figaro devant un nombre impressionnant de verres vides. Il ne quittait l’endroit que pour se rendre en face au « café de la Porte Montmartre », afin d’en prendre un petit dernier.

La terrasse du café était remplie, de onze heures du soir à une heure du matin, d’un essaim de jeunes « belles de nuit » disposées en espalier, attendant en dégustant une glace qu’un galant leur prenne le bras pour les conduire chez Véron sur le trottoir d’en face ou bien chez Bignon (aîné), boulevard des Italiens.

Arthur Ranc.
Arthur Ranc.

Nous verrons Nina de Callias un peu plus tard faire des discours enflammés en faveur de la Commune de Paris. Charles Monselet y montrait souvent sa mine réjouie corrigeant ses chroniques gastronomiques.

Georges Cavalier, dit « Pipe en bois »[[C’est Jules Vallès qui lui donna ce surnom. Il devait sa notoriété qui était grande au fait suivant : lors des première représentations d’une pièce des frères Goncourt
( Henriette Marechal), il émaillait les répliques des acteurs de coups de sifflets stridents, ce qui provoquait l’hilarité du public.
La pièce fut retirée après trois ou quatre représentations.]] était toujours entouré des futurs chefs de la Commune, Eudes, le farouche Raoul Rigault et le colonel Razoua que l’on verra après le 18 mars en uniforme, arriver à cheval en compagnie de son estafette à qui il confiait sa monture devant la porte du café, le temps de se désaltérer, et repartir au galop sur le boulevard Montmartre pour se rendre par la rue Drouot à Montmartre où se trouvait le 61° bataillon qu’il commandait.

Delescluse.
Delescluse.

Les communards apprendront plus tard que le patron du Madrid était un indicateur de police qui fut malgré tout condamné « aux pontons ». Le cabinet à la préfecture dirigé par le très mystérieux commissaire Lombard n’ayant jamais soutenu ses
«informateurs », peu de mouchards pourront bénéficier de faveurs ou de sauf-conduits.

Ce café a fermé ses portes il y a une quinzaine d’années. La dernière propriétaire du Madrid à qui j’avais été présenté, m’a fait venir après la fermeture pour me montrer comme une relique la chaise de Verlaine !

Razoua.
Razoua.

5 Comments

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  1. 1
    G. Castellvi

    Le Café de Madrid
    J’ai un témoignage écrit de mon père (une note) dans lequel il écrit que Picasso a fréquenté ce café en 1937. Avez-vous d’autres témoignages à ce sujet ?

    castellvi@univ-perp.fr

    • 2
      LAUDET

      Le Café de Madrid
      Surement mais vous en savez surment plus que moi. Par exemple, c’est à la table Numéro 9 qu’un jour Victor Goddet, Henri Desgranges et Géo Lefevre eurent l’idée de créer le Tour de France. La même table était aussi fréquentée par Beaudelaire en son temps.

      • 3
        Danyboater

        Le Café de Madrid
        Je viens de trouver dans d’anciennes archives un dépliant publicitaire du Café de Madrid sur lequel est reproduit en petit une scène de la rue style XVIIéme, et en plus grand une photo de GARIN 1er vainqueur du TOUR de France en 1903. Le dépliant mentionne « au Café de Madrid » le 20 novembre 1902 fut décidé le premier TOUR DE FRANCE. A l’intérieur on peut lire « Huitres toute l’année, Cuisine française,Poisson en 6 langues dont une en caractères asiatique.
        Le n° de téléphone indiqué est:824.97.22
        De quelle Année ce dépliant peu-t-il être?

        • 4
          Anonyme

          Le Café de Madrid
          Je suis un ancien employé du café « Le Madrid »,effectivement,dans une des salles de ce café,il y avais un panneau mentionnant que le 20 novembre 1902 fut décidé le premier Tour de France,par ailleurs il y avais dans la salle principale,une table mentionnant que Gambetta,aimais bien être assis à la dite table,une grande volière avec des perruches ornée la décoration de la salle.

          • 5
            Volpetti bruno

            Le Café de Madrid
            En 1970,j’ai été employé au « Café de Madrid »,mais en cette année il s’appelé le « Café Le Madrid »,plus exactement le drugstore « Le Madrid,il appartenait aux brasseries et tavernes Zimmer,il était toujours situé 8 boulevard Montmartre.A l’époque il avais comme entrée principale un tourniquet,une grande salle,avec une immense volière de perruches,des barquettes de bateaux était accrochés au dessus de la volière.En 1991,le « Café Le Madrid existait encore,il à été fondé en1854.

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