Pierre PONSON DU TERRAIL

«La vie est un champ de bataille où, pour triompher, il est nécessaire de faire quelques victimes, ce dont un homme d’esprit se console toujours en pensant que la population du globe est beaucoup trop nombreuse.»

Les Exploits de Rocambole.

« Le jour où j’ai lu cette phrase : « Quelle était cette main ? Quelle était cette tête ? – La suite au prochain numéro », j’ai compris que ma voie était trouvée », écrit Ponson dans le journal Le Voleur en 1859.

Cette citation, extraite non pas d’un vrai feuilleton mais d’une parodie de feuilleton (Jérôme Paturot à la recherche d’une position sociale, de Louis Reybaud), montre que l’ironie et l’humour sont pour l’auteur de Rocambole des ingrédients aussi importants que l’action et le mystère.

Elle montre aussi combien le roman-feuilleton, hier comme aujourd’hui, peut se construire à partir de situations caricaturales autour desquelles l’auteur tisse les fils de son histoire. Ponson réalise cela avec une endurance peu commune. On peut critiquer son art[[Ses contemporains ne se privent d’ailleurs pas de le parodier, le surnommant à l’occasion Ponson du Travail, Tronçon du poitrail, Porcinet du bétail ou encore Poncif du Terrail.]], supporter difficilement que la plupart de ses chapitres voient apparaître à chaque fois de nouveaux personnages, croire à peine en ces hasards étonnants qui font les rebondissements de son récit (placés si possible en fin du feuilleton du jour pour contraindre le lecteur à acheter le journal du lendemain)… force est de reconnaître qu’il a la puissance d’un Balzac, d’un Sue et d’un Dumas lorsqu’il lui faut, sur plusieurs dizaines d’épisodes, tenir en haleine son public[[Ponson a t-il eu des « nègres » ? Georges Beaume montre que oui, dans La Revue de France en 1929.]] et mêler différents genres : aventure, fantastique, horreur, comédie… C’est ce qui fait de lui un des deux ou trois écrivains les plus célèbres en France sous le Second Empire.

Pierre Alexis de Ponson naît en 1829 à Montmaur, dans le château des Terrail, ses ancêtres du côté maternel. La famille s’installe bientôt à Simiane-la-Rotonde, dans les Alpes-de-Haute-Provence, où l’on peut encore voir la maison habitée par l’écrivain. Pierre Alexis étudie au collège d’Apt puis au collège royal de Marseille, afin de préparer l’école navale.

Il s’initie également à la chasse avec son père, et découvre Les Mille et une nuits, Walter Scott, Balzac, Dumas, Sue, Soulié… dont il va bientôt s’inspirer abondamment (certains disent « piller »).

Son destin littéraire l’appelle à Paris fin 1847. En 1848, il écrit un roman historique qu’il ne parviendra jamais à faire publier intégralement.

Avant d’occuper le bas de la une du Siècle, de La Presse ou du Constitutionnel, un feuilletoniste débutant doit démarcher d’abord les revues à faible diffusion, les journaux en perte de vitesse (Ponson commence ainsi par collaborer au Courrier français, à La Mode et au Moniteur du soir) ou encore les journaux nouveaux-nés, comme Le Temps, L’Opinion publique, L’Assemblée nationale – royaliste – ou le Journal des demoiselles, dont les portes s’ouvrent également pour lui à partir de 1849-1852.

Il publie son premier récit, La Vraie Icarie – dénonçant au passage le péril socialiste -, dans L’Opinion publique en 1849… sans être payé car le journal traverse des difficultés financières.

Ponson prend aussi le temps de lire – en particulier Edgar Poe, que Baudelaire traduit dans Le Pays – et de mener des recherches historiques en France et en Europe.

Son souci de nourrir ses romans d’éléments du passé (en s’attachant aux détails de la grande Histoire) est renforcé par l’amendement Riancey en août 1850, qui taxe d’un timbre de un centime tout journal publiant un roman-feuilleton. Afin de contourner cette censure masquée qui dure jusqu’à début 1852, les journaux transforment leurs feuilletons en récits de voyage ou récits historiques, plus ou moins fantaisistes. Ponson s’engouffre dans la brèche. Il commence à écrire pour La Patrie (bonapartiste) en 1852. C’est dans ce journal que paraissent en 1857 les premiers Drames de Paris mettant en scène Rocambole. Le titre de la série évoque clairement Les Mystères de Paris d’Eugène Sue, ce modèle dont Ponson efface la gloire au milieu des années 1850[[Les deux hommes sont de bords politiques opposés. En 1848, Sue rêvait de socialisme, Ponson était en juin garde national combattant contre les insurgés. En 1851, Sue s’est exilé à Annecy. Ses Mystères du peuple sont condamnés en justice en 1857, année de parution des premiers Drames de Paris. Entre 1851 et 1870, le roman populaire – Rocambole en tête, suivi par des héros de Féval, Capendu, etc. -, de social sinon socialiste, devient conformiste sinon conservateur. À la différence des oeuvres de Sue ou Sand, Rocambole ne remet aucunement en cause le fonctionnement de la société. Rocambole prétend lui-même ne pas avoir d’opinion politique.]].

Les Drames de Paris ne doivent initialement contenir qu’une centaine d’épisodes. En réalité, la mort viendra surprendre Ponson quatorze années plus tard, alors qu’il n’a pas tout dit sur Rocambole ! Dans le premier épisode, L’Héritage mystérieux, un orphelin de douze ans apparaît au milieu du récit : Joseph Fipart alias Rocambole (mot qui signifie à l’époque « pécadille »… et est aussi une variété d’oignon ! Rocambole est aussi piquant que ce légume). Petit truand, il va devenir peu à peu le personnage central du feuilleton : d’abord voleur associé au club des « Valets de coeur » de sir Williams, purifié par son passage au bagne et devenu redresseur de torts, mort puis ressuscité dans La résurrection de Rocambole sous la pression des lecteurs et d’un directeur de La Patrie, Rocambole incarne presque le personnage de l’aventurier sans scrupules qui voit son apogée sous le Second Empire, dans le sillon de Napoléon III et de la grande bourgeoisie qui se sont emparés du pouvoir.

Ponson s’établit à Paris, 59 rue des Petites-Écuries, au début des années 1850. Il aime fréquenter les théâtres et restaurants des grands boulevards avec ses amis Aubryet, Aurélien Scholl, Jules Claretie : le café Riche, Tortoni, le café Anglais, Dinocheau (à l’angle des rues Bréda – Henri Monnier – et de Navarin) lorsqu’il est membre actif de la Société des gens de lettres à partir de 1854. Il participe aux « dîners des Treize », qui rassemblent Féval, Malot, Ponson, Claretie, etc. à l’initiative de l’éditeur Dentu, dans des restaurants comme Bonvallet, Maire, Notta.

Il séjourne au château de la Rennerie près de Fay-aux-loges en Sologne après son mariage en 1860 et dans la maison des Charmettes à Donnery, à partir de 1861, où il aime chasser et situer des épisodes de ses feuilletons.

Comme tout bon feuilletonniste, Ponson crée son propre journal, Les Coulisses du monde, en 1861 (il s’éteint début 1865). Un pas de plus vers la « réputation », après avoir remporté l’étape de la réussite sociale. Un autre est franchi en 1864 avec ses premiers succès au théâtre du Châtelet et au théâtre de l’Ambigu.

En remerciement pour ses feuilletons « politiquement corrects » publiés entre autre dans le Petit Moniteur (bonapartiste) et le Petit Journal, Ponson reçoit la Légion d’honneur en 1866, en même temps que Gustave Flaubert.

À tout seigneur, tout honneur, il s’installe à la fin du Second Empire dans une belle propriété à Auteuil, au N°15 (ancien n°11) de la rue Erlanger.

Il décède en janvier 1871.

Petite bibliographie.

Préface aux Exploits de Rocambole (Robert Laffont, collection Bouquins), par Laurent Bazin.

Histoire du roman populaire en France. Yves Olivier-Martin, Albin Michel, 1980.