« […] toute mon imagination narrative a semblé aimantée par [le] soleil aride [de Buchenwald], rougeoyant comme la flamme du crématoire. Même dans les récits les plus éloignés de l’expérience personnelle, où tout était vrai parce que je l’avais inventé et non parce que je l’avais vécu, le foyer ancien était à l’uvre, incandescent ou couvant sous la cendre. »
Jorge Semprun, Adieu, vive clarté…
Jorge naît en décembre 1923. Sa mère décède lorsqu’il a huit ans.
Avec l’aide du groupe Esprit d’Emmanuel Mounier, dont M. Semprun est correspondant en Espagne, la famille – Jorge a six frères et surs – arrive à Lestelle-Bétharram (pays basque français) en septembre 1936, fuyant l’avance des troupes de Franco. Destination Genève quelques semaines plus tard, où Jorge étudie au collège Calvin. Il est hébergé avec un de ses frères dans l’appartement des surs Grobéty, qui gèrent un foyer pour enfants avenue de la Forêt. Trois autres des frères Semprun sont accueillis dans une vieille ferme en face du château de Ferney-Voltaire.
En passant par Paris (Victoria Palace Hôtel, rue Blaise-Desgoffe), a famille rejoint début 1937 la légation de la République espagnole à La Haye, où M. Semprun vient d’être nommé. La façade de la légation donne sur le Plein 1813.
Jorge est interne au lycée Henri IV à Paris en 1939, puis au lycée Saint-Louis à l’automne de cette même année (il est alors hébergé chez un ami du groupe Esprit, Édouard-Auguste F., qui habite rue Blaise-Desgoffe ou tout près). Puis à Henri IV de nouveau (il est alors logé rue Blomet).
Il se plonge dans L’Espoir de Malraux et dans La Condition humaine – dont la lecture fait de lui un communiste, dans les romans de Nizan, Sartre, dans Le Sang noir de Guilloux, dans L’Âge d’homme de Michel Leiris, les romans de Charles Morgan (Fontaine, Sparkenbroke).
Les lycéens les plus téméraires font le mur, le soir, en s’aidant d’un réverbère situé sur un trottoir de la rue Thouin.
En mars 1939, Jorge vit dans la boulangerie qui fait l’angle entre la rue Racine et la rue de l’École-de-médecine un traumatisme semblable à celui qui marque l’enfance d’Albert Cohen : son terrible accent espagnol lui vaut une invective raciste et publique de la part de la boulangère. Cela le décide à faire tout son possible pour effacer son accent étranger. Il y parvient en quelques semaines seulement, mais décide alors de « ne jamais oublier d’être un rouge espagnol ».
M. Semprun père vit à Saint-Prix (95), où ses amis du groupe Esprit lui ont trouvé un petit logement dans la maison habitée autrefois par Sedaine, 47 rue Auguste-Rey.
Jorge croise des membres et des sympathisants du groupe Esprit : Paul-Louis Landsberg (ami d’un certain Walter Benjamin), Pierre-Aimé Touchard (qui habite 58 rue Lhomond), Raymond Aron…
Il participe le 11 novembre 1940 à la manifestation anti-nazie sur les Champs-Élysées.
Il loue une chambre en 1942 près de la place de la Contrescarpe. Le centre du monde est à ses yeux la place du Panthéon.
D’autres de ses adresses parisiennes seront également la rue de Blainville, la rue de Vaugirard, la rue Daubigny, la rue Félix Ziem.
Source : Adieu, vive clarté…, éditions Folio.