Quelques pas dans le Montmartre littéraire et artistique des années 1900 ? Suivez le guide !
1) Jehan Rictus habite 64 rue Lepic à partir de 1895, et au 50 entre 1904 et 1913.
2) Un peu avant l’époque qui nous occupe, Vincent et Théo Van Gogh demeurent au 54 de la rue en 1886-1888 (plaque).
3) 42 rue Lepic se trouvait le café La Pomponnette fréquenté par Francisque Poulbot, qui habite un moment au 54. Dans la cour de ce café, il fera construire en 1923 un dispensaire pour les petits poulbots, les gamins démunis de Montmartre.
4) Paul Fort habite 11 rue de l’Armée d’Orient en 1908-1909, et Poulbot entre 1910 et 1925. Poète, directeur de théâtre et de revue (en particulier Vers et Prose, qui dure de 1905 à 1915 et à laquelle collaborent Apollinaire et Salmon), Fort fait ici un bref séjour à Montmartre avec sa seconde femme. Il vient de Montparnasse et quittera bientôt la capitale.
5) 10-12 rue de l’Armée d’Orient, le théâtre Montmartre-Galabru était le 24 juin 1917 le théâtre Renée-Maubel, où sont jouées Les Mamelles de Tirésias d’Apollinaire. Parade, mêlant les créations de Cocteau, Picasso, Satie et Diaghilev, avait déjà créé une belle pagaille au théâtre du Châtelet le 18 mai 1917. Avec Tirésias, c’est la première fois qu’apparaît – dans le programme de la soirée – le terme « surréaliste », que Breton et Soupault reprendront plus tard en hommage à Apollinaire. Le déroulement de cette unique représentation est lui aussi surréaliste. Les comédiens ne sont pas des professionnels ; les décors ont été conçus à la dernière minute ; une pianiste remplace tous les instrumentistes, difficiles à trouver en temps de guerre ; Max Jacob dirige le chœur, Philippe Soupault fait le souffleur pendant qu’André Breton, dans la salle, passe la soirée à tenter de convaincre son ami Jacques Vaché de ne pas utiliser le revolver qu’il brandit à bout de bras, menaçant de sévir contre la pièce qu’il juge scandaleuse (Breton, comme l’ensemble du public, n’est pas loin de penser la même chose). Bref, l’échec de la pièce taxée de « cubiste » est évident. Juan Gris et d’autres peintres avant-gardistes s’en désolidariseront même publiquement, à la grande tristesse d’Apollinaire.
6) Georges Courteline habite 89 rue Lepic entre 1890 et 1903, avant de quitter la Butte, qu’il a connue dans son enfance et où il demeure depuis 1885. Son état de fonctionnaire le protège de la vie de bohème (dont il dit, à la différence de Mac Orlan, qu’elle est une « bonne fille qui ne m’a jamais donné de mauvais conseils et ne me laissera que de bons souvenirs »), mais son humour inspire d’autres montmartrois après lui, tel Roland Dorgelès.
7) Modigliani loge 7 place Jean-Baptiste Clément vers 1908.
8) Au 13 place Emile Goudeau (la place est créée en 1911 sur la rue Ravignan) se trouve le Bateau-Lavoir – reconstruit en 1978 après l’incendie qui l’a dévasté en 1970. Le projet d’en faire un musée a malheureusement été abandonné, et il accueille aujourd’hui des artistes. C’est Max Jacob qui le dénomme ainsi à cause de son toit plat et de son aménagement en chambrettes qui le font ressembler aux bateaux où les femmes lavent leur linge sur la Seine.
Marchant dans les pas de Renoir et Gauguin, Picasso est le premier artiste à s’y installer après avoir fréquenté ici l’atelier de son ami Paco Durio. Il y vit entre 1904 et 1909, au centre d’une cour d’artistes et d’écrivains, et baptise « Maison du trappeur » cette baraque au confort sommaire : un seul robinet pour toute la bâtisse, une promiscuité sonore à faire pâlir un légionnaire, etc. Picasso vit ici avec la belle Fernande Olivier. Avec elle comme avec toutes et tous, il est le plus souvent possessif et jaloux. Apollinaire, Max Jacob et d’autres sont ses hôtes réguliers. Ils viennent se restaurer, discuter peinture, fumer de l’opium.
En 1906, son atelier est le cadre d’un travail intense sur le portrait de Gertrude Stein, qui réalise ici quatre-vingt-dix séances de pose !
Quelques semaines plus tard, Picasso conçoit ici Les Demoiselles d’Avignon (initialement appelées Le Bordel d’Avignon), qui préfigurent le cubisme et font l’unanimité… contre elles. Même Apollinaire, Braque, Léo Stein, Derain, etc. pensent d’abord qu’il s’est fourvoyé. Les Demoiselles ne seront exposées publiquement qu’en 1916. En 1923, André Breton convainc le mécène Jacques Doucet d’acheter la toile.
Les autres habitants du Bateau-Lavoir sont Van Dongen en 1905-1907, Juan Gris, Mac Orlan en 1906, Modigliani en 1908, André Salmon en 1908-1909, Derain, Max Jacob en 1911, Reverdy en 1912-1913… Apollinaire, on l’a vu, vient en visiteur. Le Douanier Rousseau, vieil (environ 65 ans) original, peintre autodidacte, fréquente aussi la maison sans y vivre, de même que Braque.
9) En face, au coin avec la rue Berthe, précisément au 16 place Emile Goudeau, se tient aujourd’hui un immeuble de cinq étages. C’est l’emplacement de l’ancien hôtel du Poirier, où séjournent entre autres Delaw, Depaquit, Reverdy, Mac Orlan (vers 1900-1904), Modigliani. Son nom rendait hommage à la guinguette Au Poirier sans pareil, située à l’endroit du Bateau-Lavoir jusque vers 1830.
10) Le 7 rue Ravignan est l’adresse de Max Jacob entre 1907 et 1911 (plaque), puis de Pierre Reverdy.
11) Le Zut, 28 rue Ravignan est tenu par Frédéric Gérard (devenu le Frédéric du Quai des Brumes), jusqu’à ce qu’il reprenne le Lapin Agile en 1903. Le confort de l’établissement est limité : un sol de terre, quelques bancs fragiles ; l’éclairage est constitué de bougies et un tonneau sert de table. Picasso en décore des murs. Autour de 1902, Max Jacob retrouve souvent ici le peintre et sa bande d’espagnols. Mais le Zut accueille trop d’anarchistes au goût de la police. D’autant plus que le restaurant est le siège de bagarres fréquentes. L’une d’entre elles donne lieu à un véritable siège de la maison, scène reprise dans Quai des Brumes. La police finit par obtenir la fermeture du Zut. Qu’à cela ne tienne, le « père Frédé » s’installe au Lapin Agile, à quelques dizaines de mètres !
12) Autre adresse dans la rue : Chez Azon, le café-restaurant « Aux Enfants de la Butte », 12 rue Ravignan, où Picasso et sa bande se rendent avec plaisir. C’est ici que ce dernier fait connaissance avec Modigliani.
13) Max Jacob demeure 17 rue Gabrielle à partir de 1911. C’est ici qu’en 1919 un André Malraux de 18 ans vient montrer au « maître » un long poème en prose de sa fabrication.
14) D’octobre à décembre 1900, Picasso vit 49 rue Gabrielle (plaque). Il a dix-neuf ans. Depuis une dizaine d’année, il est un prodige du dessin et de la peinture. Il a rejoint à Montmartre des amis espagnols déjà installés sur la Butte : Miguel Utrillo (qui n’est sans doute pas le père de Maurice), Pichot, Casas, Casagemas. Picasso partage un moment avec ce dernier l’appartement de la rue Gabrielle. Ce sont pour lui des années de recherche artistique… et de misère noire. Il se refuse à dessiner pour des revues.
15) Place du Tertre se trouvait l’hôtel Bouscarat où ont séjourné Mac Orlan et Depaquit.
16) La maison située à l’angle de la rue des Saules et de la rue Cortot a été occupée par Aristide Bruant à partir de 1885 environ. Chansonnier, patron de cabaret (entre autres le Chat Noir lorsque celui-ci migre 12 rue Victor-Massé en 1885 et prend le nom de Mirliton), il achète le Lapin Agile en 1903 et en confie la direction à Frédéric Gérard, qu’il avait connu au Zut.
17) Le 12 rue Cortot est la plus vieille maison de Montmartre. Elle remonte au milieu du XVIIe siècle et l’un de ses premiers propriétaires est Rosimond, auteur de comédies et comédien spécialisé dans le répertoire de Molière, qui – comme lui – meurt en scène en jouant Le Malade imaginaire (en 1686) ! Dans les premières années du XXe siècle, c’est un véritable foyer de création. La maison est grande et les locataires sont nombreux : Maurice Utrillo et sa mère Suzanne Valadon à partir de 1906, Léon Bloy en 1906-1908, Poulbot, Raoul Dufy, Pierre Reverdy à partir de 1913… C’est pour éloigner son fils de la bouteille que Suzanne Valadon l’initie à la peinture. Il lui arrive de l’enfermer dans une pièce avec de quoi peindre et une pile de cartes postales, en promettant de le libérer lorsqu’il aura achevé de les reproduire toutes ! Utrillo, après quelques années à peindre en extérieur, reviendra presque exclusivement à la peinture d’après carte postale. Le 12 rue Cortot est aujourd’hui le beau musée du vieux Montmartre ouvert tous les jours, sauf le lundi (tél. 01 46 06 61 11).
18) André Salmon vit 36 rue Saint-Vincent en 1907-1908 avant d’emménager au Bateau-Lavoir puis de quitter Montmartre en 1909. Auparavant, il aura eu le temps, comme critique d’art, d’apporter sa pierre à la promotion du cubisme.
19) Le Lapin Agile résiste au temps 4 rue des Saules. Dans les années 1860 à 1880, c’était encore le « cabaret des Assassins » avec ses murs décorés de scènes des crimes du célèbre Troppman. C’est en 1903 qu’il adopte le nom qu’il porte encore aujourd’hui. Ses clients l’ont depuis rendu célèbre. Il est un des quartiers généraux de Picasso, Max Jacob (qui y entraîne Blaise Cendrars) et leurs camarades. Il est aussi le décor du Quai des brumes (1927) de Mac Orlan (qui épouse en 1913 Marguerite, la belle-fille de Frédé), que les aléas cinématographiques transporteront au Havre. Il est enfin le cadre de la célèbre supercherie orchestrée en 1910 par Dorgelès, Warnod et le père Frédé : celle de l’âne Aliboron, baptisé pour la circonstance Boronali, qui peint Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique avec un pinceau attaché à sa queue ! Dorgelès apprécie en effet davantage Utrillo que Picasso et ses collègues. L’histoire ne dit pas si l’âne s’est rendu au Salon des Indépendants pour admirer son œuvre.
Nos nuits, après la fermeture du Lapin, écrit Carco, s’achevaient chez Manière, rue Caulaincourt, ou dans les bars mal fréquentés de la rue Lepic, en compagnie d’individus peu faits pour nous comprendre. C’est dans ces bars que j’ai rencontré Jésus-la-Caille et ses petits amis.
20) Aristide Bruant habite 30 rue Saint-Vincent (sans doute avant de s’installer à l’angle de la rue des Saules et de la rue Cortot).
21) Au 13 rue Girardon apparaît l’allée des Brouillards, créée en 1929 sur le terrain du château des Brouillards. Bloy habite en 1904-1905 un des petits pavillons (disparus depuis) dépendant du château. Il vient à Montmartre attiré non pas par l’esprit artiste et bohème qui y règne… mais par la modicité des loyers et son amitié avec Jehan Rictus, avec qui il partage les mêmes opinions : Je leur en foutrai, moi, aux Bourgeois, du Progrès, du Labeur, de la Justice, de l’Egalité, de la Liberté comme ils l’entendent, écrit Rictus à Bloy. Ce dernier habite aussi dans la maison du 12 rue Cortot en 1906-1908, qu’il quitte car elle est trop bruyante à son goût.
22) La famille Farigoule demeure 54 rue Lamarck à partir de 1895. Le futur Jules Romains a dix ans et vit chez ses parents jusqu’en 1910. Il prend alors un pied-à-terre impasse Girardon. Depuis le succès de son poème La Vie unanime en 1908, il s’est lié avec Apollinaire et Max Jacob. Mais chacun poursuivra ensuite sa propre voie poétique et littéraire.
Sources :
– base de données de Philippe Boisseau sur le Paris historique.