« Après tout, si la littérature n’est pas pour le lecteur un répertoire de femmes fatales et de créatures de perdition, elle ne vaut pas qu’on s’en occupe. »
En lisant, en écrivant, José Corti, 1980.
Entre « le plus grand écrivain français vivant » (ce n’est plus le cas depuis le 22 décembre 2007) et « l’ermite de Saint-Florent-le-Vieil » (c’est faux. Gracq était grand voyageur et marcheur, en particulier dans les années 1960 et 1970), les clichés vont bon train pour figer en une image la figure de Julien Gracq – auteur à la plume complexe il est vrai. Lui qui disait, justement (entretien avec Michel Mitrani, dans l’émission Un Siècle d’écrivains consacrée à Gracq) : « Tout ce qui est biographie n’est important que si l’oeuvre l’admet au départ, si elle est consonante avec son expérience. Tout le reste est rejeté » (Cité dans le dossier sur Gracq réalisé en 1997 par le réseau des librairies Initiales, en ligne sur www.initiales.org/Julien-Gracq.html).
Né en 1910 à Saint-Florent-le-Vieil, Louis Poirier va à l’école du village. Il découvre Jules Verne en édition de poche (mode d’édition qu’il refusera toujours pour lui-même, pour des raisons que nous interprétons mal peut-être, mais qui semblent liées à l’effort demandé au lecteur pour aller vers l’oeuvre). Il devient en 1921 interne au lycée Clemenceau à Nantes, quittant la maison familiale avec une difficulté que l’on imagine. Il se réfugie dans Dumas, Poe, Nerval, Stendhal.
Le voilà à Paris en 1928, pensionnaire au lycée Henri IV. Alain est son professeur de philosophie. Puis l’Ecole normale rue d’Ulm, à partir de 1930, où il étudie la géographie et se lie avec Henri Queffélec qui lui fait aimer la Bretagne.
Nantes le revoit comme soldat (pour son service militaire) puis comme professeur d’histoire. Il enseigne à Quimper en 1937. Son premier roman édité est Au Château d’Argol, publié cette année-là par José Corti auquel il restera fidèle. 150 exemplaires vendus. Il a choisi Gracq pour la façon dont le nom résonne, et Julien pour Julien Sorel.
Il se lie en 1939 avec un de ses lecteurs, André Breton, dont la Nadja l’avait impressionné en 1932. Gracq fait un bout de chemin avec les surréalistes, mais pas trop car il se méfie des mouvements et des partis.
En 1939-1940, la guerre le conduit en Moselle, dans les Flandres et en Hollande, alimentant son imagination en paysages qu’il recréera en fiction. Emprisonné puis libéré, il enseigne à Amiens, Angers, à l’université de Caen à partir de 1941, et au lycée Claude-Bernard à Paris à partir de 1947 et jusqu’à sa retraite en 1970.
Il quitte Paris pour Saint-Florent en 1990. Son retrait de la vie littéraire mondaine (Gracq avait refusé le prix Goncourt en 1951 pour Le rivage des Syrtes, cohérent avec lui-même ; il avait en effet peint un tableau acerbe des moeurs littéraires l’année précédente dans La littérature à l’estomac) ne signifie pas retrait du « monde fascinant et invivable » (Préférences, José Corti, 1961) dans lequel nous vivons. C’est pour mieux l’entendre, le sentir et le voir en toute liberté que l’écrivain-marcheur se retire dans son village natal.
Tout près de chez lui, l’hostellerie de la Gabelle – sur les rives de cette Loire où les villages qui la longent étaient autant d’étapes pour les contrebandiers du sel – lui réserve une table et le marchand de journaux reçoit sa visite.
Sources :
– www.initiales.org/visuels/pdf/Gracq.pdf
– www.tierslivre.net/spip/spip.php?article230