Gustave FLAUBERT et Maxime Du CAMP à Ancenis

Quai de la Marine, l'auberge qui a hébergé les deux écrivains est aujourd'hui devenue deux maisons.
Quai de la Marine, l’auberge qui a hébergé les deux écrivains est aujourd’hui devenue deux maisons.

Quelques semaines avant les deux révolutions de 1848, entre mai et août 1847, Max(ime) Du Camp et Gustave Flaubert parcourent la Bretagne à pieds et en transports publics. Gustave avait besoin de prendre l’air. Ils tireront de leurs pérégrinations le récit Par les champs et par les grèves, dont Flaubert rédige les chapitres impairs et Du Camp les pairs.

Ils arrivent à Ancenis le 8 mai depuis Saumur, à bord d’un petit bateau, le Dragon. L’auberge qui les accueille existe encore sur le quai, tout près du château d’Ancenis.

Outre Par les champs et par les grèves, la correspondance du romancier -e n ligne sur http://flaubert.univ-rouen.fr ; la suite de la lettre est tout aussi passionnante… de même que toute la correspondance ! – permet de l’accompagner en pensée dans son périple. Louise Colet, tel un fantôme, n’est jamais loin.

« Si j’étais capable de m’effrayer de quelque chose, j’aurais été épouvanté de la lettre que j’ai reçue ce matin. Il y avait de quoi tuer un homme ; mais, Dieu merci ! en fait de désespoir, j’en suis si trempé que, quelque pénétré que j’aie été par ce nouvel orage, je ne sombre pas encore. Je vais donc tâcher d’être clair une fois pour toutes. Franc, je le suis toujours, et tu ne peux pas m’accuser d’avoir menti ni posé une minute, car dès la première heure, dès le premier mot, j’ai dit tout cela ; dès le baptême, j’ai annoncé l’enterrement.
Tu veux savoir si je t’aime ? Eh bien, autant que je peux aimer, oui ; c’est-à-dire que, pour moi, l’amour n’est pas la première chose de la vie, mais la seconde. C’est un lit où l’on met son coeur pour le détendre. Or, on ne reste pas couché toute la journée. Toi, tu en fais un tambour pour régler le pas de l’existence ! Non, non, mille fois non ! Que tu ne m’aies jamais compris, comme tu le dis, c’est possible ; je le crois un peu. Il est probable, s’il en eût été autrement, que tu te serais écartée du lépreux ».

Flaubert à Louise Colet en 1847.

« Je pars demain matin pour Paris, et samedi je commence mon voyage de Bretagne. Avant de m’en aller, cher Ernest, je t’envoie un adieu comme si tu étais là. Si nous avions eu plus d’argent, plus de liberté surtout, en un mot si je ne me trouvais presque forcé de ne pas quitter ma mère, qui est dans un vide si complet et si triste, au lieu de la Bretagne nous eussions pris la Corse.
[…]
J’ai besoin cependant de prendre un peu l’air, de respirer à poitrine plus ouverte, et je pars avec Du Camp nous promener sur les grèves de Bretagne, avec de gros souliers, le sac au dos, à pied. Nous reviendrons à la fin de juillet. Dans un mois, ma mère viendra nous faire une visite à Vannes. Tâche, au milieu de tes préoccupations magistrales, de m’envoyer au moins une lettre pendant ce temps-là. Je serai à Brest vers le 10 juin ».

Flaubert à Ernest Chevalier, le 28 avril 1847.

« Je voulais te parler de mon voyage, mais j’aime mieux te parler de toi et de nous. À quoi cela m’avancera-t-il, ce voyage ? À être un peu plus triste cet hiver. Ah ! pas de soleil ! L’ombre est trop noire ensuite ! Je hume l’air, j’aspire l’odeur des aubépines et des ajoncs, je marche au bord de la mer, j’admire les bouquets d’arbres, les coins de ciel floconnés, les couchers de soleil sur les flots, et les goémons verts qui s’agitent sous l’eau comme la chevelure des Naïades, et le soir je me couche harassé dans des lits à baldaquin où j’attrape des puces. Voilà. Au reste, j’avais besoin d’air. J’étouffais depuis quelque temps.
[…]
Demain matin ou plutôt dans quelques heures (il est tard, tout dort, et toi aussi peut-être), nous partons pour Brest où nous ne devons arriver que dans quinze jours, après avoir fait près de quatre-vingts lieues à pied sur le bord de la mer. À Brest donc je t’écrirai, et j’espère une lettre plus longue.
Adieu, chère amie, adieu, je t’embrasse sur les yeux pour les essuyer s’ils pleurent.
Amitiés et souvenir de Max
. »

Lettre à Louise Colet, envoyée de Quimper le 11 juin 1847.

« J’ai reçu ici avant-hier ta lettre qui a voyagé, avant de m’arriver, de Croisset à Rouen, de Rouen à Croisset et dans plusieurs villes de la Bretagne. Nous sommes aux deux bouts de la France : toi dans la baie d’Ajaccio, moi dans celle de Saint-Malo ; toi en face de l’Italie, nous en face de l’Angleterre. Quoique ce pays soit fort beau, d’un chic âpre et superbe, j’aimerais mieux être de l’autre bord, auprès de cette vieille Méditerranée. Mais maintenant tout voyage m’est à peu près impossible : ma mère n’a plus que moi, que moi seul ; il y aurait cruauté à la quitter. Aussi la pauvre femme, ne pouvant se passer de moi, est venue (comme il en était convenu du reste) me rejoindre à Brest, et nous avons fait tous ensemble les bouts de route qu’il fallait faire en voiture, nous retrouvant ainsi et nous séparant quand il nous plaisait. Nous terminons (hélas !), Max et moi, un voyage qui pour n’être pas au long cours, ce que je regrette, a été une fort jolie excursion. Sac au dos et souliers ferrés aux pieds, nous avons fait sur les côtes environ cent soixante lieues à pied, couchant quelquefois tout habillés faute de draps et de lit, et ne mangeant guère que des oeufs et du pain faute de viande. Tu vois, vieux, qu’il y a aussi du sauvage sur le continent. Mais j’aime mieux la sauvagerie corse. Celle-là du moins a moins de puces et plus de soleil. Or, chaque jour, j’ai de plus en plus besoin de soleil ! Il n’y a guère que ça de beau au monde, ce grand bec de gaz suspendu là-haut par les ordres d’un Rambuteau inconnu !
En fait de monuments, nous en avons beaucoup vu, des celtiques ! et des dolmens ! et des menhirs ! et des peulvens ! Mais rien n’est plus fastidieux que l’archéologie celtique ; ça se ressemble d’une manière désespérante. En revanche, nous avons eu de beaux moments à l’ombre des vieux châteaux ; nous avons fumé de longues pipes dans mainte douve effondrée, toute couverte d’herbes et parfumée par la senteur des genêts, et puis la mer, la mer ! le grand air, les champs, la liberté, j’entends la vraie liberté, celle qui consiste à dire ce qu’on veut, à penser tout haut à deux, et à marcher à l’aventure, en laissant derrière vous le temps passer sans plus s’en soucier que de la fumée de votre pipe qui s’envole. »

Lettre à Ernest Chevalier, envoyée de Saint-Malo le 13 juillet 1847.

« Je t’envoie, ma chère amie, une fleur que j’ai cueillie hier au soleil couchant sur le tombeau de Chateaubriand. La mer était belle, le ciel était rose, l’air était doux, c’était un de ces grands soirs d’été, tout flambant de couleurs, d’une splendeur si immense qu’elle en est mélancolique. Un de ces soirs ardents et tristes comme un premier amour. La tombe du grand homme est sur un rocher en face des flots. Il dormira à leur bruit, tout seul, en vue de la maison où il est né. Je n’ai guère pensé qu’à lui tout le temps que j’ai passé à Saint-Malo, et cette idée de se préoccuper de sa mort et de se retenir sa place d’avance pour l’autre côté d’ici, qui me paraissait assez puérile, m’a semblé là très grande et très belle, ce qui m’a fait retourner cette question que je n’ai pas résolue : « Y a-t-il des idées bêtes et des idées grandes ? » Cela ne dépend-il pas de leur exécution ? »

Lettre à Louise Colet, adressée depuis Pontorson en août 1847.