Promenade parisienne dans les beaux quartiers sur les pas de Balzac et de ses personnages

Promenade des grands boulevards à la Seine


C’est le quartier du Balzac reconnu et parvenu, où il possède un pied-à-terre entre 1838 et 1840 (il s’est établi l’année précédente aux Jardies à Sèvres).
C’est le quartier des commerces, des spectacles, des jeux, des lorettes, et donc le quartier balzacien par excellence, autant pour le nombre de personnages qu’il y fait vivre que pour le cadre qu’il offre aux différentes et décevantes expériences théâtrales de l’écrivain.

Nous avons déjà aperçu le boulevard du Temple lors de notre promenade dans le Marais. Cette fois-ci, nous nous trouvons plus à l’ouest. Nous avons suivi le goût des parisiens qui, entre les années 1820 et les années 1840, s’est porté de l’est de la place de la République (qui n’existait pas encore) aux quartiers de l’Opéra et de la Madeleine.

1) La pièce Vautrin est jouée en mars 1840 au théâtre de la Porte Saint-Martin, 18 boulevard Saint-Martin. Balzac, encore au bord de la faillite personnelle, attend beaucoup d’un succès. Hélas, lorsqu’un comédien apparaît au 4e acte coiffé d’une perruque qui ressemble à celle de Louis-Philippe, c’est le scandale. La pièce est interdite dès le lendemain.

Dans Splendeurs et misères des courtisanes, Balzac dit de Vautrin : « Son buste d’athlète, ses mains de vieux soldat, sa carrure, ses fortes épaules appartenaient à ces caryatides que les architectes du Moyen Age ont employées dans quelques palais italiens, et que rappellent imparfaitement celles de la façade du théâtre de la Porte-Saint-Martin. »

C’est aussi dans ce théâtre qu’en 1824 Esther Gobseck a le coup de foudre pour Lucien de Rubempré.

2) Dans Les Illusions perdues, les funérailles de Coralie ont lieu en 1822 dans l’église Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle. Après la faillite du théâtre du Panorama-Dramatique, elle a habité rue de la Lune avec Lucien.

3) Dans le même roman, Rubempré se présente au Petit Journal, rue Saint-Fiacre non loin de l’angle avec le boulevard Poissonnière (Balzac écrit par erreur boulevard Montmartre), espérant attirer l’attention du directeur sur ses compétences journalistiques.

4) Laure de Surville (sœur de Balzac) et son mari demeurent 28 rue du Faubourg-Poissonnière avant de s’installer rue des Martyrs.

5) Au 29 rue de Paradis habite le baron de Canalis, académicien, pair de France et que l’on rencontre à plusieurs reprises dans La Comédie humaine.

6) Notons que Un épisode sous la Terreur propose tout un itinéraire (qui nous éloigne un peu du nôtre) autour de l’église Saint-Laurent, dans la rue Eugène Varlin (ancienne rue des Morts), la rue Louis-Blanc (rue de la Butte-Saint-Chaumont), jusqu’à l’angle du 240 rue du Faubourg-Saint-Martin et du 225 rue Lafayette (alors rue du Chemin-de-Pantin dans sa portion nord), où les héros de cette nouvelle trouvent refuge dans une « chancelante bicoque ».

7) Au 14 cité Trévise siège la Société des gens de Lettres créée en 1838 – suite aux efforts de Balzac en particulier, et qu’il préside entre 1839 et 1841. Il en démissionne parce qu’il la trouve inefficace et sans réels moyens pour défendre les droits des auteurs. Notons en passant la présence d’Alexandre Dumas 30 rue Bleue de 1833 à 37 et 3 cité de Trévise en 1848.

8) Les Surville habitent 47 rue des Martyrs. Laurent-Jan, ami de Balzac, a vécu au n°23.

9) Le peintre sans talent Pierre Grassou (dans l’œuvre du même nom) vit au 4e étage du 2 rue de Navarin. Au-dessus de lui, son atelier, d’où il voit Montmartre.

10) Émile de Girardin crée en 1836 le quotidien La Presse 11 rue Saint-Georges.
Le quartier Saint-Georges et la rue Notre-Dame-de-Lorette sont créés sous la Restauration.

La rue Saint-Georges est aussi la rue des lorettes, demi-mondaines ou femmes entretenues, des courtisanes dont les Splendeurs et misères s’organisent autour de la vie d’Esther Gobseck, petite nièce de l’usurier, amoureuse de Lucien de Rubempré mais « vendue » en 1829 au baron de Nucingen. Le splendide hôtel d’Esther, entretenu par le baron, se situait dans le bas de la rue, non loin de la rue de Provence. Rastignac en est un des familiers (il est l’amant de la baronne, il peut bien fréquenter la maîtresse du baron !).

11) L’angle de la rue Richelieu et du boulevard Montmartre (110-112 rue de Richelieu) est l’adresse du pied-à-terre que Balzac loue au tailleur Buisson sous les toits, à partir de 1838. Le restaurant-bal Frascati a disparu deux ans auparavant lorsque les nombreux établissements de jeux qui foisonnaient dans le quartier ont été interdits d’activité. Il a été démoli et un immeuble lui a succédé, construit par Jean Buisson, tailleur-spéculateur immobilier.

Un jour de 1840, Laurent-Jan, Théophile Gautier, Ourliac et de Belloy sont invités ici par Balzac… qui leur demande de l’aider à écrire, en quelques heures, la pièce Vautrin qu’il a vendue au théâtre de la Porte-Saint-Martin mais pas encore composée ! Seul Laurent-Jan parvient à se mettre réellement à l’ouvrage. Si la pièce n’est jouée qu’une fois en mars 1840, elle connaîtra davantage de succès à l’Ambigu-Comique à partir d’avril 1868.

Jean-Jacques Bixiou, artiste bohème et doué, habitué de la maison d’Esther Gobseck rue Saint-Georges vers 1829-1830, habite également ici. On le croise souvent dans La Comédie humaine.

12) A partir de 1821, l’Opéra se trouve au niveau du 10 rue Le Peletier[[L’Opéra que nous connaissons aujourd’hui place de l’Opéra date du Second Empire.]]. C’est ici qu’en hiver 1824 se situe l’ouverture de Splendeurs et misères des courtisanes, qui voit Rastignac et ses amis surprendre Esther Gobseck (dite « La Torpille ») au bras de Lucien de Rubempré, et Vautrin réapparaître sous les traits du prêtre Carlos Herrera, dont il a pris la vie et l’identité après s’être échappé du bagne (de Rochefort) en 1820.

13) En 1820, Delphine de Nucingen et Goriot installent Rastignac rue Laffitte (alors rue d’Artois), non loin de l’hôtel des Nucingen rue Saint-Lazare. Cet appartement est en effet destiné à abriter les amours de Delphine et Eugène.

14) C’est rue Taitbout que Vautrin installe Esther Gobseck vers 1825, après avoir parfait son éducation religieuse et générale, afin qu’elle puisse se consacrer à Lucien de Rubempré en toute discrétion (et avant qu’elle ne soit « achetée » par le baron de Nucingen).

15) Jeanne Louise Breugniot, la gouvernante-secrétaire de Balzac, ouvre un magasin d’antiquités en 1847 au 17 rue de Choiseul (le bâtiment a été rénové depuis mais existe toujours). Eve Hanska a réussi à convaincre son futur mari de se débarrasser de cette femme possessive qui s’imaginait rester au service de l’écrivain jusqu’à la mort de celui-ci. Son départ les mènera devant le juge, Madame Breugniot ayant subtilisé une vingtaine de lettres de Madame Hanska.

16) Anastasie de Restaud, fille de Goriot et sœur de Delphine de Nucingen, vit rue du Helder. Fille de Goriot, elle ne lui accord que quelques visites dans l’année et le tient le plus loin d’elle possible.

17) La rue de la Chaussée-d’Antin abrite plusieurs personnages de La Comédie humaine. Elle s’appelait jusqu’en 1816 rue du Mont-Blanc. Ce changement de nom égare d’ailleurs le colonel Chabert lorsqu’à son retour il recherche l’hôtel qu’il possédait dans la rue. Dans Béatrix, Camille Maupin réalise en 1838 dans la rue une belle opération de spéculation immobilière.

Le quartier de la Chaussée d’Antin est habité par la bourgeoisie d’affaires, qui prospère et attend son heure avant la révolution de 1830. Un peu plus au Nord-Ouest, le quartier de l’Europe commence à se dessiner sous la Restauration.

18) La duchesse d’Abrantès habite 18 rue Basse-du-Rempart, rue qui longeait au nord le boulevard des Capucines et le boulevard de la Madeleine depuis la rue de la Chaussée-d’Antin.

19) Rue Gaillon se trouvait le salon de Sophie Gay, au sein duquel Balzac est introduit par la duchesse d’Abrantès.

20) La Reine des roses, la parfumerie de Birotteau (qui a sa fabrique quelque part dans le Marais) se trouve rue Saint-Honoré près de la place Vendôme (au n°397 rue Saint-Honoré dans le roman). Son emplacement originel était situé plus près de l’église Saint-Roch, soit près de la rue de la Sourdière, soit près de la rue de l’Echelle (alors rue des Frondeurs).

César Birotteau est très fier d’avoir été blessé par une balle des soldats de Bonaparte, sur les marches de l’église Saint-Roch lors de l’émeute royaliste du 13 vendémiaire (5 octobre 1795).

21) La Peau de chagrin s’ouvre au Palais-Royal. Les protagonistes de La Comédie humaine s’y retrouvent dans différents établissements : le restaurant des Frères provençaux, 88 ou 98 Galerie de Beaujolais (Le Lys dans la vallée), le restaurant Véry, 85 galerie de Montpensier, qui finit absorbé par son voisin Véfour (Lucien de Rubempré y dîne en arrivant d’Angoulême, dans Les Illusions perdues, Rastignac, en pleine ascension sociale, y invite des amis vers 1833-34) ; l’épicier Chevet, 22 galerie de Montpensier, où Balzac va s’approvisionner et qu’il cite à vingt reprises environ dans son œuvre, remboursant ainsi, certainement, des dettes qui avaient atteint un certain niveau.

En 1784 sortent de terre, à l’opposé de la galerie de Beaujolais, des « Galeries-de-Bois », également nommées « Camp des Tartares » et formant le quatrième côté du quadrilatère. Balzac les décrit comme un « sinistre amas de crotte » et un « temple de la prostitution » dans Les Illusions perdues. S’appuyant sur un plancher de bois et recouvertes par une grande verrière, ces galeries abritent différentes attractions, parmi lesquelles une jeune géante prussienne de 2,20 mètres, un homme de 238 kilos… Destinées à n’être que provisoires, les galeries de bois ne seront cependant détruites qu’en 1826 et remplacées deux ans plus tard par une grande galerie recouverte par une verrière de fer et de verre : la galerie d’Orléans (la verrière et les boutiques disparaissent en 1935 ; les deux rangées de colonnes en pierre ont survécu et en indiquent aujourd’hui l’emplacement, entre les péristyles de Montpensier et de Valois).

La Cour du Palais Royal vers 1840

22) Au début de Splendeurs et misères des courtisanes (fin 1824), Esther Gobseck habite rue Langlade, située à l’époque entre la rue de Richelieu et la rue Traversière-Saint-Honoré (rue Molière), en plein quartier de prostitution d’alors. Par amour pour Lucien de Rubempré, elle a abandonné la prostitution et vit ici dans la pauvreté, à dix-neuf ans et illettrée, à confectionner des chemises pour un salaire de misère. Elle s’établira rue Taitbout pour vivre discrètement avec Lucien. Un peu plus tard, le baron de Nucingen, l’ayant rencontré par hasard, paiera à Vautrin plus de 400 000 francs pour la posséder. Ne supportant plus de vivre sans Lucien, elle se suicidera en mai 1830, quelques heures avant d’hériter de la fortune de son oncle l’usurier.

23) Arrivant plein d’enthousiasme d’Angoulême avec son amante Madame de Bargeton, Lucien descend à l’hôtel du Gaillard-Bois qui existait réellement 6 rue de l’Echelle – alors rue des Frondeurs au-dessus de la rue Saint-Honoré (Les Illusions perdues). Madame de Bargeton, elle, s’installe non loin, rue Neuve de Luxembourg (rue Cambon).

24) La rue du Doyenné, dans laquelle demeure La Cousine Bette, s’étendait parallèlement à la rue Saint-Honoré, au niveau de l’actuelle pyramide de Pei.

25) Félix Gaudissart, habile représentant en chapeaux et articles de Paris, habite vers 1818 dans l’hôtel du commerce, rue des Deux-Ecus – qui est aujourd’hui la partie ouest de la rue Berger.

26) En 1816-17, Balzac est clerc de notaire à l’étude Guillonnet-Merville, 42 rue Coquillière, en même temps qu’il poursuit ses études en droit. Il s’inspire de cette expérience pour créer le personnage de l’avoué Derville et créer la trame de l’histoire du Colonel Chabert.

27) A l’angle nord-est de la rue Hérold (alors rue des Vieux-Augustins) et de la rue Etienne Marcel (à l’emplacement de laquelle se trouvait alors la rue Pagevin) démarre l’action de Ferragus, lorsque Auguste de Molincourt aperçoit Madame Desmarets, « la plus jolie femme de Paris », se diriger seule vers une maison sordide…

28) Rue Montorgueil, le restaurant Le Rocher de Cancale, où font halte plusieurs personnages de La Comédie humaine, est toujours ouvert au public.

29) Presque à l’angle de la rue Saint-Denis et de la rue Tiquetonne (qui se nommait alors, depuis la rue Dussoubs, rue du petit-Lion-Saint-Sauveur), se trouve le magasin de drapiers La Maison du chat-qui-pelote (c’est-à-dire du chat qui s’apprête à frapper une balle de sa raquette, et qui figure en enseigne du magasin).

30) L’usurier Gigonnet, collègue de Gobseck, habite rue Greneta.

Sources :
Guide Balzac, Philippe Bruneau,
– les romans de La Comédie humaine