Haworth, les Brontë et l’industrie textile

L’ancien Bridgehouse Mill à Haworth, l’une des deux fabriques textiles, avec Ebor Mill, qui existaient dans le village à l’époque des Brontë. Le Bridgehouse Mill fabriquait en particulier des étoffes pour l’exportation vers la France, employant alors une trentaine d’adultes et d’enfants à partir de 10 ans (dans d’autres moulins auparavant, les Greenwood faisaient travailler des enfants dès 5 ans, dont des orphelins adressés par le Foundling Hospital de Londres…). Le Bridgehouse Mill de l’époque des Brontë était plus petit que ses restes d’aujourd’hui, issus des agrandissements successifs au XIXe siècle.

L’œuvre des sœurs Brontë s’intéresse moins à la révolution industrielle et aux bouleversements sociaux de leur époque, que les romans de leurs contemporains Charles Dickens ou Elizabeth Gaskell par exemple (cette dernière étant par ailleurs autrice de la première biographie-hagiographie de Charlotte Brontë).
Le Shirley de Charlotte Brontë a tout de même pour décor une fabrique textile en proie dans les années 1811-1812 à la rébellion luddite, ces artisans qui voyaient d’un mauvais œil la mécanisation des métiers à tisser, pensant à juste titre qu’elle allait déposséder des familles entières de leur savoir-faire et de leur gagne-pain. Même si l’on assiste dans Shirley à un échange entre un patron et ses ouvriers sur les conditions de travail, on ne voit guère dans le roman la vie quotidienne de ces derniers et son propos est plus sentimental que social.

Le parsonage d’Haworth (à l’époque des Brontë, la partie droite n’existait pas).

Le Yorkshire de l’Ouest, celui des Brontë, est pourtant dans les années 1820-1850 une région textile en pleine révolution industrielle, avec les innovations technologiques, les changements de vie et les mouvements sociaux qui vont avec et que l’on a oubliés aujourd’hui.
Quand les Brontë s’installent à Haworth en 1820, les Luddites ont perdu la partie et la mécanisation des tâches est irréversible.
De nombreux logements d’Haworth plus ou moins salubres sont encore occupés par des familles de tisserands à domicile, qui peignent la laine (wool combing) de mouton et la tissent plus de douze heures par jour, associant les enfants depuis parfois l’âge de 6 ou 7 ans dans des conditions d’hygiène redoutables. Il faut en effet chauffer les peignes en permanence, dans des pièces où la cheminée ou le poêle brûlent tout le jour, sans aération. Petit à petit, leurs femmes et enfants (dont les salaires sont plus bas que ceux des hommes(1)) se font embaucher dans les « mills » qui travaillent également le coton et leur promettent un emploi stable.

En face de la Black Bull Inn, un exemple de maison à deux étages côté Main Street et trois côté arrière-cour, comme cette vue le montre. Un grand nombre de ces maisons étaient occupées par des familles d’ouvriers du textile.

Haworth est alors réputée pour être aussi insalubre que l’East End de Londres. Il y a peu de puits dans le village, une bonne partie des eaux sont souillées par les animaux ou les humains avant d’être bues et le pasteur Brontë se bat pour améliorer les conditions sanitaires dans la région, comme il se bat pour que les jeunes enfants aillent à l’école plutôt qu’au métier à tisser. D’humble origine, il sait bien ce que l’éducation peut apporter à un enfant.

En même temps, des moulins se développent le long de la rivière Bridgehouse Beck, où les machines textiles sont entraînés par la force motrice de l’eau. Peu à peu, de nouvelles fabriques vont s’installer alentour en s’éloignant des cours d’eau, avec des machines à vapeur qui remplacent les roues à aubes. On les reconnaît à leur haute cheminée qui évacue au loin les fumées de charbon. L’arrivée du chemin de fer à la fin des années 1860 (donc après la mort des Brontë) va dynamiser encore davantage ces industries locales.

La Main Street d’Haworth, avec sa forte pente qui descend en direction de la rivière Bridgehouse Beck.
Ebor Mill, le long de la rivière Bridgehouse Beck. À l’époque des Brontë, l’entreprise n’était pas aussi importante que ce qu’il en reste aujourd’hui peut le faire croire. Elle passera en 1851 de la famille Craven à la famille Merrall, dont un des frères, Hartley, était un ami de Branwell Brontë. En 1846, les Merrall (gérant d’autres filatures à Haworth) s’opposeront durement aux ouvriers grévistes.
Woodlands, la demeure construite en 1832 en bas de Sun Street par la famille Greenwood, propriétaire de Bridgehouse Mill (n°22 sur le plan ci-dessous ; le Bridgehouse Mill est au n°24 et le parsonage au n°11 ; le plan et la photo ci-dessus sont à https://www.visitbradford.com/dbimgs/Haworth%20Village%20of%20The%20Bront%C3%ABs.pdf)

Le révérend Brontë connaissait la plupart des patrons d’usines textiles de la région, éminents personnages de la vie communale, commerciale et paroissiale d’Haworth (2). Il connaissait aussi les conditions de vie des ouvriers des usines et en parlait avec Emily, Anne, Branwell et Charlotte, comme il abordait avec eux l’ensemble des questions d’actualité, politiques, économiques et sociales. Il s’est opposé à certains patrons dans ses combats pour l’éducation des enfants et l’amélioration des infrastructures sanitaires, sujets qui n’étaient en général pas privilégiés par les propriétaires de fabriques.

En 1847, les emplacements d’Ebor Mill (en haut à droite) et du parsonage (en bas à gauche)
Bridgehouse Mill
L’emplacement de Woodlands (la source de ces trois plans de 1850 : https://maps.nls.uk/view/102344905)

Deux émissions à écouter : « L’économie selon les Brontë » et « Les Brontë : comment naît une famille d’artistes« .

Notes :
(1) : Dans les années 1840, la famine en Irlande provoquée par les mauvaises récoltes de pommes de terre conduiront des dizaines de milliers d’Irlandais vers l’Angleterre et particulièrement vers les usines textiles du Yorkshire, provoquant des émeutes ouvrières importantes appuyées par le mouvement chartiste.
(2) : Tant qu’ils ne faisaient pas faillite. Les faillites étaient nombreuses, même pour les plus grandes familles, car dans le secteur textile le progrès technique et la concurrence internationale étaient rudes.

Sources :
S. R. Whitehead, The Brontës’ Haworth, The Brontë Society,
C. Alexander, M. Smith, The Oxford Companion to The Brontës, Oxford University Press.

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