Descendances et dissidences du saint-simonisme au XIXe siècle

Lorsque l’on s’intéresse au saint-simonisme, on se trouve devant deux grands paradoxes :
– tout d’abord, « C’est le monde industriel qui offrit aux anciens saint-simoniens leurs réussites les plus éclatantes, dévoilant a postériori une ambigüité irréductible du mouvement : celle d’avoir prôné un idéal de justice sociale et d’avoir contribué à installer une société capitaliste », écrit Nathalie Coilly dans Le Siècle des saint-simoniens, du Nouveau christianisme au canal de Suez,
– ensuite, alors que l’on pourrait qualifier Saint-Simon de « fondateur des fondateurs » (Pierre Musso, dans le Vocabulaire de Saint-Simon, éditions Ellipses), le saint-simonisme semble largement absent du discours social et politique du XIXe siècle, pourtant siècle des révolutions et des réformateurs. Floran Tristan, Proudhon (qui se réfère explicitement à Saint-Simon pour sa théorie du dépérissement de l’État, mais qualifie de « pourriture saint-simonienne et démocratique » le saint-simonisme, mais aussi… Les Misérables ; quant à Fourier, ce sont les saint-simoniens qui vont chercher chez lui l’idée que l’individu social doit être un couple homme-femme) et Marx sont plus connus que Saint-Simon alors que sa pensée les a inspirés.

Si elles ne sont pas toujours déclarées, les postérités de Saint-Simon et des saint-simoniens sont pourtant diverses. Outre les influences du saint-simonisme dans l’industrie, les transports et la finance sous le Second Empire, on peut citer aux XIXe et XXe siècle en France :
– bien sûr, le positivisme d’Auguste Comte,
– la pensée anarchiste de Proudhon et socialiste de Leroux et de Marx, qui défend un retour aux textes de Saint-Simon tout en caricaturant sa pensée en « socialisme utopique »,
– la « physiologie sociale », un courant de la sociologie ouvert par Durkheim, pour qui Saint-Simon est un penseur comparable à Descartes,
– les courants socialistes des années 1920-1930,
– le marxisme des années 1960,
– jusqu’au courant de la « deuxième gauche » socialiste.

Quelles sont les raisons de cet ostracisme ? On pourrait en avancer plusieurs. Il faut tout d’abord distinguer la postérité de Saint-Simon de celle d’Enfantin et de l’école saint-simonienne « officielle » :
– pour Saint-Simon, la difficulté est de parvenir à une lecture ordonnée d’une œuvre foisonnante (« J’écris parce que j’ai des choses neuves à dire, je présenterai mes idées telles qu’elles ont été forgées par mon esprit ; je laisse aux écrivains de profession le soin de les limer », écrit-il), malgré le soin que prit Saint-Simon de la classer en trois parties : une épistémologie élaborée de 1802 à 1813, une philosophie politique conçue de 1814 à 1823 et une religion élaborée en 1824-1825 (partant du constat que le catholicisme a montré son échec avec la fin de l’Ancien régime et qu’il faut le remplacer),
– de grands héritiers de Saint-Simon, comme Auguste Comte et Augustin Thierry ont développé des pensées et des expériences collectives qui ne se revendiquent pas directement de la pensée saint-simonienne, lorsqu’elles ne la maltraitent pas,
– quant aux saint-simoniens, leurs excès sous la conduite de Prosper Enfantin dans les années 1831-1832 ont discrédité le mouvement en le faisant apparaître comme une secte dans l’acception péjorative que l’on entend aujourd’hui (on qualifiait les saint-simoniens de secte à leur époque, mais dans un sens moins « chargé »).

En réalité, ce « passage dans la clandestinité » des saint-simoniens – à partir de 1831 pour ceux qui font alors scission, à partir de 1833 pour tous les autres – a été leur grande chance : « cette sortie de scène, cette dispersion et, finalement, cette dilution sont précisément ce qui permet aux idées et aux hommes, banalisés, sécularisés, de trouver un second souffle. En une dizaine d’années, en effet, leur réseau devient une réalité déterminante et durable, une force matérielle hégémonique » (Le Siècle des saint-simoniens, du Nouveau christianisme au canal de Suez, p. 122).

Revenons brièvement sur les principaux temps forts du saint-simonisme entre 1825 et 1833 pour nous intéresser ensuite à différentes descendances et dissidences du mouvement au XIXe siècle.


On peut identifier trois périodes du mouvement saint-simonien de 1825 à 1870 :

  1. de 1825 à 1831 : la reformulation et la diffusion de la doctrine et la création de l’Eglise,
  2. de la fin 1831 à 1832 : la crise et la séparation de Bazard et d’Enfantin,
  3. de 1833 à 1870 : la séparation de Chevalier et d’Enfantin et le passage à la pratique

1) De 1825 à 1831 : la reformulation et la diffusion de la doctrine et la création de l’Eglise

Le 22 mai 1825 au cimetière du Père-Lachaise

Tombe d'Enfantin au Père-Lachaise.
Tombe d’Enfantin au Père-Lachaise.

Saint-Simon décède le 19 mai 1825 au 9 de la rue du Faubourg-Montmartre. Le 22 mai, jour de ses obsèques – en présence d’Auguste Comte et d’Augustin Thierry – (sont enterrés au Père-Lachaise : Enfantin, les deux frères Eugène et Olinde Rodrigues – Benjamin-Olinde Rodrigues-Henriques 1795-1851 -, Charles Robinet, Edmont Talabot – juste au-dessus de Saint-Simon et quelques pas en-dessous d’Enfantin ; Bazard est enterré à Courtry, en Seine-et-Marne), des membres du comité de sept personnes devant lesquelles Saint-Simon avait lu son Nouveau Christianisme en 1824, se retrouve à la sortie du Père-Lachaise chez Olinde Rodrigues, dernier assistant de Saint-Simon. Ils décident de créer le premier journal hebdomadaire saint-simonien, Le Producteur (qui paraîtra seulement entre octobre 1825 et octobre 1826 mais d’autres titres prendront le relais : L’Organisateur, de 1829 à août 1831, puis Le Globe). Ils sont rejoints quelques jours plus tard par le polytechnicien Enfantin et Saint-Amand Bazard, un des co-fondateurs de la Charbonnerie française. Ils commencent à infléchir la pensée de Saint-Simon en mettant en avant le développement de l’industrie et des réseaux de communication, et au second plan la transformation sociale et politique – objet central de la théorie de Saint-Simon – qui n’en devient que l’effet. Enfantin explique que le développement du réseau des transports doit s’accompagner d’un essor du réseau des crédits. Au siège du Producteur, place de la Bourse, se retrouvent le vendredi Rodrigues, Enfantin, Bazard, Buchez, et d’autres qui s’en retirent début 1826 : Comte, Blanqui, Léon Halévy, Armand Carrel…

A l’initiative de Bazard, la construction d’une doctrine en partie autonome par rapport à la pensée de Saint-Simon se concrétise en 1829-1830 avec L’Exposition de la doctrine saint-simonienne, ensemble de conférences et d’écrits qui s’appuient sur les axes suivants :
– elle repose sur une philosophie de l’histoire très déterministe,
– elle propose la collectivisation des moyens de production industrielle, alors que la vision de Saint-Simon était plus nuancée,
– elle renforce la dimension religieuse comme unique fondement du politique.

Tombes d'Edmond Talabot (devant) et (derrière) de Saint-Simon et des frères Rodrigues.
Tombes d’Edmond Talabot (devant) et (derrière) de Saint-Simon et des frères Rodrigues.

Le jour de Noël 1829 sont élus deux « pères suprêmes », Bazard et Enfantin. Saint-Simon, qui avait dit que Dieu l’avait inspiré (Lettres d’un habitant de Genève), avait aussi pronostiqué que le « nouveau christianisme » aurait « sa morale, son culte et son dogme : il aura son clergé, et son clergé aura ses chefs » (Le Nouveau Christianisme). Chacun incarne une face de la nouvelle religion : à Bazard la raison, à Enfantin le polytechnicien, la passion. Cela crée déjà quelques remous dans le mouvement.

Les saint-simoniens s’établissent 6 rue Monsigny. Cette implantation permet à d’autres de les rejoindre, dont Barrault.

La spontanéité de la révolution de juillet 1830 surprend les saint-simoniens, comme d’ordinaire les révolutions spontanées surprennent les mouvements révolutionnaires ou simplement réformateurs. Les saint-simoniens essaient de convaincre La Fayette de prendre la tête d’une dictature éclairée (c’est-à-dire avec à sa tête des industriels). Lorsqu’ils comprennent que le futur Louis-Philippe est poussé au pouvoir par La Fayette et Laffitte, ils donnent aux troupes saint-simoniennes la consigne de ne plus se mêler de la révolution. Leur objectif de faire travailler de concert industriels et ouvriers à l’avènement d’une nouvelle société ne les incite de toute façon pas vraiment à encourager les insurrections.

La révolution donne un coup de fouet à l’audience populaire des saint-simoniens et lève des freins à la diffusion de leurs idées. Ils s’installent dans un immeuble au 6 rue Monsigny et ouvrent leur portes chaque jeudi à l’occasion de conférences publiques en même temps qu’ils structurent le dogme, en instituant des grades, un baptême, etc.

En novembre 1830, le quotidien Le Globe basé également 6 rue Monsigny, est récupéré par un de ses fondateurs, Pierre Leroux, passé sous la bannière saint-simonienne et qu’accompagnent Sainte-Beuve, Eugène Lerminier, Charles Magnin…. Le reste de l’équipe dirigeante (Dubois, Rémusat, etc.) vient de rejoindre le gouvernement qui a été instauré après la révolution de juillet. Michel Chevalier en prend la tête. La passation de pouvoir est facilitée par le capital qu’apporte Enfantin mais elle ne se passe pas pour autant sans drames. Une dispute entre Dubois et Sainte-Beuve conduit ainsi à un duel sous la pluie pendant lequel Sainte-Beuve combat un parapluie en main ! Le journal s’arrêtera en avril 1832.

Un « degré des ouvrier » est créé par Claire Bazard et le polytechnicien Fournel, ancien directeur des forges du Creusot qui a cédé tous ses biens aux saint-simoniens. Une formation est dispensée chaque semaine aux ouvriers dans différents quartiers de Paris. Deux « maisons d’association » sont ouvertes en 1831 rue Popincourt et rue de la Tour-d’Auvergne. Elles sont fondées sur le partage des ressources, à l’image de ce qui se pratique dans la maison de la rue Monsigny et dans celle de la « Maison Simon », rue de Louvois.

A Lyon, une première campagne de conférences saint-simoniennes se déroule entre mai et juillet 1831 avec Pierre Leroux et Jean Reynaud. Les ouvriers en soie, les ouvriers de la « Fabrique » – que l’on appelle aussi les canuts – sont particulièrement impressionnés. Ils ont inventé les prud’hommes en 1808 et le mutuellisme vingt ans après. Mais les négociants lyonnais obtiennent peu à peu, paradoxalement, une régression des conditions de vie des ouvriers. Ces derniers se révoltent en novembre 1831. Ils contrôlent la ville pendant une dizaine de jours avant d’être réprimés par le ministère Casimir Périer. Les saint-simoniens parisiens sont à cette époque trop occupés par leurs dissensions internes pour se porter aux côtés des canuts. Après l’interdiction du mouvement en 1832, plusieurs saint-simoniens s’installeront en région lyonnaise.

En août 1831, le ministère de Casimir Périer demande des rapports de police sur le saint-simonisme et une enquête officielle est lancée en novembre. Ce qui inquiète particulièrement le ministère, c’est l' »agit-prop » saint-simonienne en direction des ouvriers. Les chefs d’accusation retenus sont association et réunion sans autorisation, excitation à la haine et au mépris d’une classe de citoyens, escroquerie (au sujet de titres de rente perpétuelle émis par le mouvement), provocation non suivie d’effet au renversement du gouvernement du roi, provocation à la désobéissance aux lois qui régissent la propriété, outrage à la morale publique (au sujet de la doctrine d’Enfantin sur le couple-prêtre).

La salle de la rue Taitbout est fermée aux réunions saint-simoniennes à partir de janvier 1832.

2) De la fin 1831 à 1832 : la crise et la séparation de Bazard et d’Enfantin

En novembre 1831, Bazard quitte le mouvement, emmenant avec lui Leroux, Charton, Lechevalier, Carnot et d’autres qui trouvent ridicule l’orientation qu’Enfantin donne au saint-simonisme en prônant l’affranchissement de la femme et le passage de la théorie et de l’enseignement au culte effectif. Enfantin et Chevalier passent en effet, malheureusement, à la vitesse supérieure. Rodrigues les quitte également en février 1832, officiellement pour des raisons philosophiques, officieusement parce qu’il est profondément blessé par ce qu’Enfantin a dit sur sa femme. Dans le projet d’Enfantin, de Chevalier et de Barrault s’intègre maintenant l’idée de réunir l’Orient et l’Occident en commençant par tisser un lien matériel et spirituel entre les grands ports de la Méditerranée.

En novembre 1831, Enfantin parvient donc à exclure Bazard, Leroux et la branche socialiste du saint-simonisme, au profit des polytechniciens et des industriels. Bazard est victime d’une attaque cérébrale à l’automne 1831 – il décède en juillet 1832. Au moment où les insurrections se reproduisent sous la Monarchie de juillet (insurrection des canuts lyonnais en 1831, insurrection de juin 1832 à Paris (cf. Les Misérables), le débat focalisé sur la communion de l’esprit et de la chair, de l’Orient et de l’Occident, et la mise en réseau de l’industrie et des moyens de financement, permet à Enfantin d’éviter de se rallier aux insurgés.

Entre avril et fin 1832, Enfantin et 40 « apôtres » se retirent au 145 rue de Ménilmontant et on lira ici le début et l’achèvement de cette aventure.

« Le communisme avait été détruit dans l’école […]. Enfantin l’avait battu en brèche, au nom de la femme, au nom de la famille, au nom du monde, et cette lutte s’était terminée par le triomphe des défenseurs des droits de l’individu et de sa liberté ». Gustave d’Eichthal en 1857 (Fonds d’Eichthal, bibliothèque de l’Arsenal).

La branche « officielle » du saint-simonisme renonce ainsi à toute idée de transformation socialiste. Très respectueux de l’autorité, Enfantin soutient d’ailleurs Louis-Philippe, puis plus tard la IIe République, et enfin Napoléon III.

3) De 1833 à 1870 : la séparation de Chevalier et d’Enfantin et le passage à la pratique

En 1833, le mouvement saint-simonien n’a plus d’existence officielle. Il n’aura pas duré dix ans. Ses anciens dirigeants sont en Orient. D’anciens compagnons de route tentent diverses expériences socialistes dans les années 1830 et 1840, enrichissant le catalogue des tentatives que Marx et Engels qualifieront de « socialistes utopiques » en 1848 dans le Manifeste du parti communiste.

Arthur Young et Zoé Gatti de Gamond créent en 1833 dans la forêt de Rambouillet, à Condé-sur-Vesgre une communauté fouriériste soutenue par Transon et Lechevalier, puis une autre entre 1841 et 1846 à l’abbaye de Citeaux en Bourgogne.

Les fouriéristes et anciens simoniens Derrion et Reynier créent en 1835 à Lyon la première épicerie sociale.

Pierre Leroux ouvre avec l’aide de George Sand une imprimerie communautaire à Boussac dans la Creuse en 1844. Elle ferme en 1849.

La révolution de 1848

Les deux révolutions de 1848 trouvent les ex-saint-simoniens des deux côtés de la barrière. Certains sont aux côtés du pouvoir et craignent que les révolutionnaires menacent la propriété. D’autres, comme Lechevalier et Barrault, se lancent avec enthousiasme dans les clubs et les journaux politiques. Enfantin et Arlés-Dufour naviguent au milieu de tout cela en mettant en avant le rôle « historique de la bourgeoisie ».

Hippolyte Carnot, Reynaud et Charton prennent les rênes du ministère de l’Instruction publique de la IIe République. Buchez aide après la révolution de février 1848 à créer les Ateliers nationaux. En mai suivant, il est président pour un mois de l’Assemblée constituante, mais n’est pas réélu en 1849 et se retirera de la vie politique.

L’essor du crédit et de la banque

Plus durable est l’influence des saint-simoniens dans la transformation du système bancaire. Afin de libérer les petits exploitants des taux usuraires des grands propriétaires, Rodrigues et Enfantin avaient déjà créé en 1816 la Caisse hypothécaire, sur le modèle de la Banque territoriale des physiocrates. Elle meurt en 1827.

Emile et Isaac Pereire, issus d’une famille juive bordelaise, se sont rapprochés du saint-simonisme grâce à leurs liens familiaux avec Olinde et Eugène Rodrigues. Emile, qui a collaboré au Globe saint-simonien, et Isaac s’éloignent des excès d’Enfantin fin 1831. L’arrivée au pouvoir de Napoléon III permet aux Pereire de s’émanciper des Rothschild pour créer leur propre empire financier avec le Crédit mobilier, qui soutient son pendant industriel, la Compagnie des chemins de fer du Midi.

Bonaparte autorise en 1852 l’ouverture des crédits fonciers et de la Banque foncière de Paris, futur Crédit foncier de France, destinés à l’origine à financer les petits exploitants agricoles, mais que des banquiers engagés dans les chemins de fer et les investissements immobiliers des frères Péreire dans la plaine Monceau et la rue de Rivoli détournent de leur raison d’être.

En même temps, Paulin Talabot, frère du saint-simonien Edmond, prend la tête de ce qui deviendra la compagnie ferroviaire PLM (Paris-Lyon-Méditerranée). Ses associés dans l’aventure se nomment Arlès-Dufour, Enfantin et les Rothschild. Ils se trouveront confrontés à certains projets concurrents des Pereire, jusqu’à l’effondrement du Crédit mobilier en 1867.

Les saint-simoniens dans la presse du siècle

L’action d’éducation et de propagande est, on l’a vu, l’arme de guerre des saint-simoniens pour transformer la société. Saint-Simon lui-même a donné l’exemple en publiant la revue L’Industrie entre 1816 et 1818 grâce au soutien financier de Laffitte. « Evoquer la carrière journalistique des anciens saint-simoniens est une gageure tant ils sont nombreux à avoir prêté leur plume aux journaux de leur temps, quand ils n’en ont pas été les principaux artisans », explique Nathalie Coilly dans Le Siècle des saint-simoniens. Barrault écrit dans Le Monde et La Revue universelle. Vinçard crée La Ruche populaire en 1839. Buchez[[Philippe Buchez, médecin, ex-carbonaro comme Bazard – Bazard était en 1820 le principal organisateur du complot de Belfort, qui devait porter La Fayette au pouvoir. Particulièrement soucieux du sort des plus pauvres, il quitte le mouvement saint-simonien fin 1829 et entraîne quelques autres sous l’appellation des « saint-simonistes ». Émules de Lamennais et d’Ozanam, ils s’orientent durant les années 1830 vers une synthèse républicaine, socialiste et catholique de l’action politique, préfigurant le Sillon de Marc Sangnier.]] crée le journal L’Atelier, entièrement rédigé par des ouvriers. Pierre Leroux fonde La Revue Indépendante avec George Sand en 1841, et Charton Le Magasin pittoresque en 1833 (à ne pas confondre avec Le Magasin d’éducation et de récréation, revue publiée par Hetzel à partir de 1864), auquel collabore Hyppolyte Carnot, et L’Illustration en 1843. Bien sûr, la révolution de février 1848 voit naître des journaux dont la plupart mourront après celle de juin, et des saint-simoniens sont de l’aventure : Jourdan avec Les Nouvelles du jour, qui deviennent Le Spectateur républicain, Barrault avec Le Tocsin des travailleurs, Eugénie Niboyet avec La Voix des femmes, Bareste avec La République ; Lechevalier est rédacteur en chef de La Paix.

Un destin particulier est celui d’Adolphe Guéroult, qui écrit dans Le Temps, Le Journal des débats et La République, puis devient rédacteur en chef de La Presse en 1858. Il crée L’Opinion nationale en 1859, un des grands journaux qui soutiennent le Second Empire.

Quelques adresses

Terminons cette incursion dans l’histoire du saint-simonisme en présentant quelques lieux parisiens qui lui sont liés.

– Saint-Simon demeure 55 rue de la Loi vers 1790,
– il atterrit dans la prison de Saint-Lazare (6 cours de la ferme Saint-Lazare) après son arrestation en novembre 1793, en partie erronée car on le confond avec un autre, puis dans la prison du Luxembourg entre mai et octobre 1794. c’est là que, raconte-t-il, Charlemagne lui apparaît et lui demande d’être son héritier spirituel,
– il habite vers 1798 en face de l’Ecole polytechnique,
– puis rue Vivienne en 1801, où il joue les « maîtres d’hôtel de la science » en recevant le tout-Paris intellectuel et scientifique,
– au 26 rue des saints-Pères se tiennent vers 1828 des rencontres saint-simoniennes, dans l’appartement d’Hippolyte Carnot,
– la salle du 47 rue de Grenelle accueille des réunions saint-simoniennes et fouriéristes au début des années 1830,
– les bureaux des frères Péreire sont situés 5 rue d’Amsterdam sous le Second Empire,
– le 15 place Vendôme est le siège du Crédit mobilier des frères Péreire sous le Second Empire,
– les adresses d’Édouard Charton sont détaillées sur la page http://pageperso.aol.fr/lagardehortensia : lorsqu’il arrive à Paris en 1827, il emménage dans une chambre 12 rue Taranne (c’est depuis 1876 le côté impair du boulevard Saint-Germain, entre la rue de Rennes et la rue des Saints-Pères), où il vit jusqu’en 1835. L’immeuble abrite le siège de deux sociétés qu’il fréquente : la Société pour l’Instruction Élémentaire et la Société de la Morale Chrétienne. Il habite 7 rue de l’Université en 1835, puis, brièvement, 19 quai Malaquais en 1839, puis 37 rue de Babylone entre 1840 et 1849, puis 2 de la rue Saint-Germain-des-Prés. Sa dernière adresse parisienne est le 30 rue Bonaparte au numéro 30.

Sources :
Le Siècle des saint-simoniens, du Nouveau christianisme au canal de Suez, sous la direction de Nathalie Coilly et Philippe Régnier, BNF, 2006, p. 67.
Saint-Simon, l’utopie ou la raison en actes, Olivier Pétré-Grenouilleau, Payot,
Saint-Simon et le saint-simonisme, par Pierre Musso, collection Que sais-je ?, n°3468,
Les Voix de la liberté, Michel Winock,
– base de données du Paris révolutionnaire de Philippe Boisseau.

De nombreux écrits de Saint-Simon et sur le saint-simonisme sont accessibles depuis http://gallica2.bnf.fr.